Décembre-Alonnier
Publié le 1 Décembre 2015
Joseph Décembre, dit Décembre-Alonnier, est né à Metz le 21 novembre 1836 (en Lorraine allemande précise Quepat dans son Dictionnaire biographique de l'ancien département de la Moselle -1887-, ce qui est un véritable anachronisme !). Il meurt le 7 septembre 1906, c'est à dire l'année qui termine l'affaire Dreyfus.
Né de père inconnu, il est le fils d'une domestique allemande non mariée, fille d'un boulanger, et d'un forgeron lorrain qui le reconnaît tardivement.
Il fera son écolage de compositeur et de correcteur typographe dans sa ville natale. Il continuera son apprentissage à Paris, en ce compris celui de prote, aux ateliers du Petit-Montrouge de l'abbé Jacques-Paul Migne, connu pour avoir publié de volumineuses encyclopédies à caractère religieux et à bon prix (par ex. son Patrologiae cursus completus: 221 volumes!). Il aurait publié ainsi environ 900 volumes de grand format, sur deux colonnes de textes serrés, pour lesquels l'abbé sera condamné par son évêque Georges Darboy et par le pape Pie IX lui-même. Cet estimable abbé était connu dans la profession pour imposer à ses nombreux ouvriers, recrutés le plus souvent parmi ceux en rupture de ban ou déclassés, qu'il payait à bas prix, des cadences de travail infernales. "On reste pantois devant l'extraordinaire travail accompli par ce forcené de l'édition." Jean-Paul Delon. (cf Martin du Bourg)
On mesure ainsi l'aprrentissage très dur et rigoureux subit par Joseph Décembre. Comme patron, il ne sera pas en reste de cet apprentissage, avec ses propres ouvriers.
Décembre rejoint l'imprimerie de Duprez de la Mahérie comme prote dès 1862. Il a 25 ans. (Prote: chef d'atelier ce qui correspondait à l'époque à être le bras droit de son patron.)
Son œuvre la plus connue, écrite avec son (futur) beau-père Edmond Alonnier (1828-1871) qui faisait également partie de l'atelier de typographie de Duprez, ainsi qu'avec de nombreux collaborateurs, reste le « Dictionnaire populaire illustré d'histoire, de géographie, de biographie, de technologie, de mythologie, d'antiquités, des beaux-arts et de littérature » en trois tomes (1864, diffusion terminée en 1865), tiré à plus de 150 000 exemplaires selon Glaiser (Biographie nationale des contemporains / rédigée par une société de gens de lettres, 1878). Nous sommes dans l'époque de Napoléon III. C'est un ouvrage considérable, précurseur des Larousses, toujours salué pour sa qualité et sa précocité. (NB: la première livraison du « Grand Larousse Universel du XIXème siècle » en 17 volumes suit de peu : début en 1866 pour se terminer en 1877.) Ce sont de beaux volumes qui ne dépareilleront aucune bibliothèque digne de ce nom ! Largement illustré, il a été publié au départ par livraison hebdomadaire de 16 pages, de type in-quarto, en écriture serrée, sur trois colonnes, coûtant 10 centimes à l'époque. 150 livraisons furent réalisées, 1000 gravures, 2400 pages.
C'est également en 1865 qu'il fut reçu dans « La Société des gens de lettres », il y a cause à effet.
Son « Dictionnaire de la Révolution française, 1789-1799 » (1870), écrit également avec son beau-père Edmond Alonnier et de nombreux collaborateurs, en 2 volumes de 800 pages chacun, de type in-quarto, sur deux colonnes, avec de nombreuses gravures, fut également un succès.
Il écrira différents romans, parfois à succès, sous divers pseudonymes, notamment « Louis de Vallières », « Vulpinius », « Sempronius », « Adhemar de Longueville », Driemänner (!), … , seul ou en collaboration avec son beau-père, en parution unique ou en livraison. Par exemple leur livre « Les faiblesses d'une jolie fille » connaîtra 8 éditions successives et une parution en italien. Son premier livre « Physiologie de l'imprimeur » fut écrit seul, en 1856, il avait 20 ans.
« Peut-être le lecteur, qui nous suivra dans ce voyage tout de fantaisie, sera-t-il surpris d'une bizarrerie qui ne saurait lui échapper : nous voulons parler de l'emploi simultané que nous ferons parfois du pronom nous et du pronom je ; nous pourrions soulever ici les oiseuses dissertations qu'on a faites à propos de ces deux pronoms, mais nous préférons nous en abstenir, persuadé que nous sommes que la perspicacité du lecteur saura lui faire découvrir la cause de notre manière d'agir ; car si un amant ne peut dire à celle qu'il aime : Nous vous aimons, sans l'insulter et se faire mettre impitoyablement à la porte ; de même un vieux soldat, tout brave qu'il serait d'ailleurs, ne saurait dire sans forfanterie et sans se faire moquer de lui : J'ai gagné la bataille d'Austerlitz. » (Décembre-Alonnier. Typographes et gens de lettres. I, 1864 )
Il devait être assez connu à son époque puisqu'on le trouve repris dans les dictionnaires bibliographiques (par exemple Le Larousse) de la 2ème moitié du XIXème siècle.
Une barricade de la Commune de Paris, le 18 mars 1871.
Sa vie
Joseph Décembre est engagé par Duprez de la Mahérie en 1862, comme prote où il rencontre Edmond Alonnier, de 7 ans son aîné. Celui-ci vient également d'un milieu modeste, il est le fils d'un cordonnier. Il épouse sa fille en 1865, Marie-Émilie, elle a 17 ans, dont il aura une fille, Madeleine, né en 1867. Marie-Émilie meurt un an plus tard, en 1868.
Il portera dès son mariage volontiers le nom de Décembre-Alonnier, mais ce nom couvre surtout une collaboration jamais démentie avec son beau-père jusqu'à sa disparition intervenue en 1871, à la sortie du drame de la Commune. Ce nom couvre également parfois un groupe d'auteurs plus large pour des publications de grande ampleur.
En 1866, après le dépôt de bilan de leur patron, ils fondent une maison pour la publication de feuillets à 10 centimes. Une première faillite suivra en 1869.
Sa notoriété commence avec les grands dictionnaires qu'il réalise avec son beau-père : le « Dictionnaire populaire illustré » (1864), le « Dictionnaire d'histoire naturelle » (1866), le « Dictionnaire de la Révolution française » (1870).
A côté de romans, il aura une réelle production d'ouvrages républicains et/ou anti-cléricaux, dès 1862. De même, il publiera des ouvrages « à chaud » ou sur la franc-maçonnerie. Par exemple, son « Coup d’État du 2 décembre 1851 » paru en 1868 aura été réédité 7 fois, ou son « Histoire de la Commune », en collaboration avec Octave Féré, parue en juillet 1871, aura du succès malgré des difficultés venant des Éditions Fayard. Ces publications, qui défendent en effet un point de vue, compilent des documents contemporains des événements: ils sont toujours utiles et cités par les chercheurs.
Durant les événements de la Commune, André Combes le classe comme « Versaillais ». C'était une guerre civile qui fera des dizaines de milliers de morts, il faut donc rester prudent dans des classifications trop rigoureuses. En tout cas, tout comme Louis Blanc (qui fut des essais de conciliation), il était opposé à la Commune, « La catastrophe qui vient de frapper Paris est tellement immense, que l'esprit se refuse à y croire : en effet en prenant un de ces plans où les monuments sont figurés, on n'a qu'à supprimer ces édifices et les quartiers avoisinants, et l'on aura encore à peine une idée de l'aspect désolé et lamentable qu'offre cette ville qui s'intitulait encore fièrement la reine de l'intelligence. » (début de la préface de son « Histoire de la Commune » paru en juillet 1871 sous le pseudonyme de Sempronius).
Constatons que le GOdF, au sortir de la Commune, ne professait pas d'autre opinion : déjà le lendemain du point final sanglant du drame, le 29 mai, par circulaire, le GOdF se distanciait radicalement de la Commune, et son GM, Babaud-Laribière précisera par la circulaire du 1er août : « La Maçonnerie est restée parfaitement étrangère à la criminelle sédition qui a ensanglanté l'univers en couvrant Paris de sang et de ruine […] et si quelques hommes indignes du nom de Maçon ont pu tenter de transformer notre bannière pacifique en drapeau de guerre civile, le GO les répudie comme ayant manqué à leurs devoirs les plus sacrés. » (cf P Chevallier, Tome II de son Histoire de la FM française, p 525)
Décembre est d'abord un patriote républicain. Il s'était engagé comme officier dans l'armée active le 5 septembre 1870, soit dès l'annonce de la défaite de Sedan (1 septembre) et de la déchéance de l'Empereur avec la proclamation de la République le 4 septembre par Léon Gambetta. Le nouveau gouvernement essaya immédiatement de reconstituer une armée, Décembre répondit à l'appel. Il sera de service jusqu'au 10 juin 1871. Il a pris part aux engagements lors de l'investissement de la ville de Paris par les prussiens, notamment à ceux du Bourget et de Montretout. (Quepat. Dictionnaire biographique de l'ancien département de la Moselle. 1887.) Il aurait été blessé à la jambe au Bourget en décembre 1870 (2ème engagement du Bourget).
Il aurait également fait fonction durant cette période de comptable des ambulances et/ou d'interprète (probablement français/allemand).
Dès la fin de la Commune (28 mai 1871), une chasse aux francs-maçons communards s'organisa, souvent associés dans l'esprit du pouvoir, aux internationalistes et aux blanquistes. Le GOdF devait réagir pour maintenir sa cohésion : ceci explique peut-être cela.
Le frère Francis Jourde, un important responsable de la Commune (Comité central de la Garde nationale) et membre de la Loge "Les Zélés Philanthropes" dont il fut orateur, est appréhendé dès le 30 mai. Le 9 juin, il est radié de sa loge par un vote majoritaire. On en fera « reproche » à Décembre-Alonnier qui était fraîchement installé président de l'atelier depuis mars (soit quelques jours avant le début de la Commune). Ceci indique en fait que la Loge, située dans la banlieue parisienne à Vaugirard, aurait été majoritairement « versaillaise », avec des éléments communards. Durant cette guerre civile, les membres des loges parisiennes et de sa banlieue devaient être partagés, parfois la majorité penchait d'un côté plus que de l'autre. Francis Jourde, après s'être échappé en 1874 de Nouméa où il était déporté, se réfugia à Londres et demanda à la Loge de lui fournir un certificat de maîtrise. Il désirait s'affilier à la loge francophone très internationaliste (au sens de l'Internationale socialiste) « Les Philadelphes » de Londres, pratiquant le rite de Memphis et fréquentée principalement par des proscrits. La Loge ne fit pas obstacle à sa demande et la transmit au GODF, qui, lui, fera obstacle.
Cette même année, une demande d'amnistie pour les habitants de Neuilly est formulée par des francs-maçons, à laquelle s'associe Décembre (cf Viera Rebolledo-Dhuin).
Joseph Décembre épouse en 1875, en seconde noce, Marie Julienne Blanc qui le sort d'un certain marasme financier où les faillites successives l'avaient plongé. Il aura plusieurs enfants de ce mariage, mais une seule fille survivra. Dès ce moment sa production augmentera fortement, notamment durant les années 80.
Il s'intéressa à cette époque aux idées socialistes, parfois anarchistes, à tout le moins il publie des auteurs de ce registre.
La Théophilanthropie. Cette sorte de culte date de la révolution française. Il est basé sur la religion naturelle, chère à la Révolution. Ce culte véhicule une sorte de déisme fraternel moralisant. Finalement, ce culte « moralisant » disparaît au début du XIXème, accusé de ne rassembler que des « filous en troupe ». Décembre-Alonnier va le « ressusciter ». En 1882, il crée le « Comité central théophilanthropique », dans un esprit très anti-clérical, peut-être également avec des tendances occultistes. Le fait-il à des fins « spéculatives » (cf Viera Rebolledo-Dhuin) ? Du moins on lui fait également ce reproche. C'est aussi un opportuniste, et il n'a pas que des amis (voir plus loin).
Finalement, ce néo-théophilantropisme disparaîtra. Décembre avancera :« La politique nous tue. [...] Plusieurs de nos collaborateurs étaient malheureusement plus préoccupés de politique que de religion. C’est le boulangisme qui est cause de mon échec. Des divisions se sont produites au comité central. La majorité des membres a pris parti pour Boulanger. Une scission s’est produite. Plusieurs de mes anciens collaborateurs sont aujourd’hui des militants du nationalisme. » (cf Viera Rebolledo-Dhuin qui reprend Albert Matthiez)
Le dernier feuillet « Semaine fraternelle » consacré à ce néo-culte arrête sa parution en 1889.
[ Le boulangisme est un mouvement mené par le général Boulanger, de 1889 à 1891, et se terminera par le suicide de son leader sur la tombe de sa maîtresse à Bruxelles. Ce mouvement était basé sur un populisme revanchard, nationaliste, anti-parlementariste et césariste avec quelques réels accents sociaux. Ses électeurs sont majoritairement de gauche, et son financement de droite. ]
Dès ce moment, sa production diminuera.
Il éditera son dernier livre connu en 1893 : « Monsieur Hébrard et le Canal de Panama » (signé : un patriote).
Ensuite, il semble surtout avoir gardé des activités de journalisme. Des nombreux journaux que Décembre-Alonnier a réalisé, peu lui subsisteront. A noter cependant le « Vaugirard-Grenelle. Organe hebdomadaire des quartiers de Grenelle, Javel, Saint-Lambert et Necker » qui subsistera jusqu'en 1952.
Page de titre illustré du "Dictionnaire Populaire Illustré d'histoire, de géographie, de biographie, de technologie, de mythologie, d'antiquité, de beaux-arts et de littérature" de Décembre-Alonnier.
Parcours maçonnique
Il est initié en 1867 (soit à 30 ans), en même temps que son ancien patron Duprez de la Maherie, à la loge de Dreux « La Franche Union ». Il est élevé au grade de maître l'année suivante en 1868.
Il sera un conférencier apprécié dans les différentes Loges qui l'invitèrent.
Sa date d'affiliation à la loge de Paris « Les Zélés Philanthropes » est fluctuante : mars 1869, mars 1870, le 8 ou 10 juin 1870. Toujours est-il qu'il en devient président le 10 mars 1871.
Il occupe cette position durant 16 ans, et démissionnera, à peine réélu, en 1887. Ses adversaires, même dans sa propre Loge, auront finalement raison de lui. Il semble que tous les moyens furent bons, des défauts de cotisations aux plus infames ragots furent apparemment utilisés (par exemple, il aurait laissé se prostituer sa fille Madeleine!). Après cette date, il apparaît comme abattu, on trouve encore quelques publications sortant de son imprimerie, mais un coup d'arrêt semble bien là ?
En 1884, il avait créé le Chapitre des Zélés Philanthropes, dont il sera le premier président. Ce Chapitre connaîtra des difficultés majeures suite à son retrait de la loge éponyme en 1887.
Son successeur à la présidence du Chapitre, probablement avec son aide, se battra cependant pour le maintenir en activité, après avoir déménagé rue Cadet. Finalement, le Chapitre se souchera sur une autre Loge (« Les Vrais Amis ») en 1890, lorsque la loge des Zélés Philanthropes lui retirera son propre souchage en 1889. Ce ne sera que bien plus tard que la Loge des Zélés Philanthropes aura l'autorisation de recréer un Chapitre portant son nom (1926).
Son action sur la loge des Zélés Philanthropes fut puissante. La Loge, déchirée par la situation politique et sociale de guerre (1870-71), ne comptait plus que 36 membres au moment où Joseph Décembre en prend les rênes. Les membres restants étaient démoralisés et dispersés. Il met en place des mesures pour assurer un recrutement vigoureux. Alors que la maçonnerie connaissait un repli après la Commune jusqu'en 1877, date de la victoire des Républicains aux élections, sa Loge va faire un chemin inverse, et croître progressivement pour atteindre 110 membres au moment de son départ en 1887, grâce à des initiation mais aussi des affiliations. Les travaux de la loge durant ce long vénéralat furent variés et intenses. Mais ensuite, avec son départ brutal, la Loge connaîtra à nouveau un fort fléchissement durant une bonne dizaine d'année, perdant environ la moitié de ses membres, pour reprendre ensuite. Elle ne connaîtra à nouveau un tel niveau de membres qu'à partir de 1923.
« Constatons d'abord que depuis la guerre funeste qui pèse encore par ses résultats sur la France, la FM n'a pas retrouvé les beaux jours d'autrefois. Où sont ces Vénérables bouillants et ces milliers d'auditeurs suspendus aux lèvres de nos Maîtres aimés ? Nos ateliers sont déserts … D'où vient cette absence de FF à nos travaux ? » Décembre-Alonnier, décembre 1872. (Repris dans Histoire de la RL Les Zélés Philanthropes.)
Il va se multiplier, visitant de nombreuses Loges, allumant les feux d'autres, et surtout proposant des affiliations réciproques (sorte de jumelage) à nombre d'entre elles, ce qui donnera une visibilité toute particulière aux Zélés Philanthropes. Il organise des réunions régulières entre les Loges de la banlieue de Paris, et surtout de la banlieue méridionale (Bagneux, Issy, Montrouge et Vaugirard). Elles ne se poursuivront pas après son retrait.
En 1887, il se présente à nouveau comme Vénérable. Pour la première fois, il est mis en ballottage, élu seulement au second tour. Il se retire alors, créant un nouvel atelier, au titre évocateur, « L'Étude sociale » dont la vie sera éphémère (1887-88).
Frederic Desmons
Son action au Grand Orient de France.
Deux moments clés pour le GOdF: ce sont les Convents des septembres 1871 et 1877.
C'est lors du Convent de septembre 1871, que la décision est prise de supprimer la Grande Maîtrise. L'Obédience rentre pleinement dans une réelle démocratie. En effet, le souvenir douloureux de l'absolutisme de Murat, puis la main de fer dans un gant de velour de Magnan et de Mellinet n'ont pas laissé que des bons souvenirs, même si les deux derniers ont plutôt géré l'Obédience en bon père de famille. Ce n'est pas pour rien que Léonide Babaud-Laribière, un ancien quarante-huitard, est élu Grand-Maître à la succession de Mellinet en 1870. Se pose la question de la présidence du Conseil de l'Ordre au lendemain de la Commune. (La transformation du Conseil du Grand-Maître en un Conseil de l'Ordre s'était réalisée lors de la crise de 1861-62.) Babaud-Laribière accepte finalement celle-ci sous la condition de la suppression de la Grande Maîtrise qu'il détenait (ce qui rendait la chose possible). Cette modification fondamentale à la tête de l'obédience est acquise lors du Convent de 1871. Les membres du Conseil, dont le mandat est de 3 ans, prennent dès lors de l'importance, puisqu'ils vont agir quasi à l'égal du Président du Conseil. Ils auront mission d'inspecter les Loges, d'allumer les feux d'autres, les décisions sont consensuelles, etc.
Décembre-Alonnier fait partie de cette nouvelle génération. Au Convent de 1871, à 35 ans, il est élu Conseiller de l'Ordre au Grand Orient. Ce ne fut pas aisé, puisqu'il sera dans les repêchés du ballottage. En 1874, fin du mandat, il quitte la charge.
Il sera l' « Orateur » du Convent de 1873 où il prononcera, le 27 septembre, un discours remarqué sur l'histoire de la franc-maçonnerie à l'occasion du centenaire du Grand Orient. Celui-ci sera imprimé.
Ses idées le rendent proche de Frederic Desmons, c'est un ami. Il utilisera d'ailleurs également le pseudonyme de « Carolus Desmonts » ! Il est réellement de son époque au GOdF. Par certains côtés, sa néo-théophilantropie, qui viendra par après, n'était pas si éloignée du protestantisme libéral professé par le pasteur Desmons (ou en Belgique, par Goblet d'Alviella).
1877 est une autre année charnière pour la franc-maçonnerie française et le GOdF en particulier. Les Républicains gagnent les élections face aux Conservateurs. La situation extrêmement tendue jusque là (de 1873 à 1877), avec des fermetures de Loges, se renverse. Les Loges suspendues sont rouvertes, la politique fait son apparition petit à petit dans l'espace du GOdF, le buste de Marianne rentre dans le Grand Temple, l'Obédience appelle à l'amnistie des Communards et proclame la liberté absolue de conscience, abandonnant la référence à Dieu.
En 1878, on retrouve Décembre-Alonnier comme rapporteur du Convent du GOdF.
En 1885, le Convent du GOdF décide la dissolution du Grand Collège des Rites et fait monter, pour remplacer l'ancienne équipe minée par les disputes et les défections, des membres du Conseil sous la conduite de Louis Amiable et de 8 autres 33èmes. Ceux-ci complètent l'équipe et appellent Décembre-Alonnier au Grand Collège, cela se passe en 1886.
Il sera membre dès cette année-là de la commission de la révision des rituels des grades symboliques, présidé par Amiable, comme délégué du Grand Collège.
Dans l'annuaire du Grand Orient de France de 1891, il est renseigné comme Grand Maître de Cérémonie du Grand Collège des Rites, mais dans l'annuaire de 1892, il n'y est plus, ni comme officier, ni comme actif.
Le Sphinx posant sa question à Oedipe. Décembre-Alonnier. "Dictionnaire Populaire Illustré d'histoire, de géographie, de biographie, de technologie, de mythologie, d'antiquité, de beaux-arts et de littérature", p 2216
Sa collaboration avec le Droit Humain
D'après André Combes. En 1899, il confère l'élévation au 33ème degré à Georges Martin, avec qui il crée le Suprême Conseil du Droit Humain en 1901 dont il sera le premier Grand Commandeur jusqu'en 1903 où il cède sa place à Marie-George Martin.
Selon Remy Boyau (p114) et d'autres auteurs comme Gisèle & Yves Hivert-Messeca ou Anne Van Marion-Weijer :
Décembre-Alonnier aurait adhéré à la "Grande Loge Symbolique Écossaise mixte Le Droit Humain", où il avait réalisé des conférences remarquées. Il semble avoir été fort lié au couple Martin (cf Hivert-Messeca).
Après de longues discussions avec George Martin et à sa demande, il accepta de faire monter au rouge, puis au noir et enfin au blanc des sœurs et des frères de la nouvelle Obédience, soigneusement choisis !
Le 11 mai 1899, au 51 rue du Cardinal Lemoine à Paris, il éleva au 33è degré, dix d'entre eux, dont George Martin et sa femme Marie-George. Le premier "Suprême Conseil Universel Mixte des Grands Inspecteurs Généraux et des Grandes Inspectrices Générales" du Droit Humain était ainsi constitué. Les personnalités qui le composent sont très remarquables par leurs actions dans la vie civile (par ex. voir les livres de Dominique Segalen).
Les choses restèrent discrètes durant deux ans encore, de façon à étoffer la maçonnerie écossaise mixte des Hauts-Grades et/ou dans l'espoir d'une reconnaissance et de l'accueil de la maçonnerie mixte par les maçonneries masculines: George Martin s'en expliquera.
C'est le 12 juin 1901, que le Suprême Conseil vint à la lumière et Décembre-Alonnier en assura la première présidence, avec Marie-George Martin comme Vice-Présidente et George Martin comme Orateur. En janvier 1903, il cédera la charge à Marie-George Martin qui prit la présidence du Suprême Conseil.
Le cadre obédienciel devenait ainsi stable permettant un vigoureuse extension internationale, car tel était également le but de cette création. Déjà en 1902, la « Human Duty » de Londres était créée. D'autres suivront rapidement.
C'est ainsi que Joseph Décembre, né de père inconnu, dit Décembre-Alonnier, sera la racine de la plupart des Suprêmes Conseils mixtes et féminins du REAA dans le monde, tant "libéraux" que "réguliers à l'anglaise" ! Une gloire posthume oubliée ...
[ Rappelons qu'il existe une franc-maçonnerie anglo-saxone féminine, de qualité, non reconnue par la GLUA mais considérée par elle comme "régulière". ]
Tablier de 33ème. Origine Mexique.
Conclusion
Joseph Décembre, dit Décembre-Alonnier était une personnalité controversée, complexe, qui semble basculer de façon incessante entre des convictions très réelles, des besoins de reconnaissance et l'obligation de soigner son réseau de connaissances et amis (manifestement fort important), et enfin des attitudes opportunistes afin d'obtenir des financements qui lui échappaient sans cesse. Ce ne fut pas un escroc, ce ne fut pas un enfant de chœur.
Son impact sur la vie sociale de son époque se mesure probablement surtout à la publication de ses dictionnaires thématiques à bon prix. Il diffuse une culture élargie, de qualité, à un grand nombre.
Pour le reste, il est oublié malgré une production littéraire abondante, mais qui apparaît de qualité moindre, encore que, parmi d'autres qui ont connu des fortunes similaires, son "Typographes & gens de lettres" (une ampliation de sa "Physiologie de l'imprimeur") est un livre plein d'humour et de piquant, qui a d'ailleurs connu une réédition récente soignée. A lire pour découvrir un auteur ancien, toujours séduisant.
Quant à sa participation à la franc-maçonnerie de son époque, elle fut intense. Il sera républicain, anti-clérical. Frederic Desmons sera son ami, ainsi que Louis Amiable et le couple Martin. Il participa à la rénovation du Grand-Orient et du Grand-Collège des Rites. Et finalement son action sur la création du Suprême Conseil du Droit Humain fut décisive à travers George Martin.
Cette personnalité fascinante est aujourd'hui largement oubliée, c'est probablement dommage.
La Tour Eiffel en 1901
Avertissement. La présente notice est réalisée à partir de sources secondaires. Il existe de nombreuses sources primaires à Paris. Mais habitant loin de la Ville lumière, il m'est impossible d'y consacrer le temps nécessaire. Or, forcément de nombreux blancs sont à compléter et des choses mal comprises seraient probablement à rectifier. En effet, et j'en ai donné un exemple, il y a un hiatus évident entre certaines "rumeurs" portées à son encontre et le déroulement réel de sa vie. Ce petit travail-ci n'a donc d'autre ambition que de donner le désir à celles et ceux qui cherchent, d'aller plus loin.
Références
- Viera Rebolledo-Dhuin. Joseph Décembre-Alonnier (1836-1906), un spéculateur dans la librairie? Dans Ducas S. (dir.), Les Acteurs du livre. II : Les Mondes du livre, Paris, Éditions Nicolas Malais, 2013, p. 101-120.
- Viera Rebolledo-Dhuin. La librairie et le crédit. Réseaux et métiers du livre à Paris (1830-1870). Thèse de doctorat en histoire. Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. (vol 1 et 2) 2011.
- Martin du Bourg a refait un glossaire-index en fin de la réédition de 2002 (Éditions Plein Chant) du livre de Décembre-Alonnier: Typographes & gens de lettres (1864), où se trouve une très courte biographie de Joseph Décembre.
- Collectif. Histoire de la RL Les Zélés Philanthropes (GODF) à l'Orient de Paris-Vaugirard. 1834-1984.
- André Combes. Les Zélés Philanthropes. Humanisme n°163, 1985, pp 63-66.
- André Combes. Trois siècles de la franc-maçonnerie française. Édimaf, 1987.
- André Combes. Histoire de la Franc-Maçonnerie au XIXème siècle. Tome II. Éditions du Rocher, 1999.
- André Combes. Le Grand Orient de France 1865-1914. Edimaf, 2013.
- Remy Boyau. Le Droit Humain. 1976.
- Gisèle et Yves Hivert-Messeca. Comment la Franc-Maçonnerie vint aux femmes : Deux siècles de Franc-Maçonnerie d'adoption, féminine et mixte en France 1740-1940. Éditions Dervy, 1997.
- Françoise Jupeau-Réquillard. L'intiation des femmes. Éditions du Rocher, 2000.
- Anne Van Marion-Weijer. Diversity in Unity. Sous la direction de A Heidle & J Snoeck. Women’s Agency and Rituals in Mixed and Female Masonic Orders, Éditions Brill, 2008.
- Marc Grosjean. Georges Martin. Franc-maçon de l'universel. Éditions Detrad, 1988.
- Daniel Ligou. Dictionnaire de la Franc-Maçonnerie. PUF, 1987.
- Pierre Chevallier. Histoire de la Franc-Maçonnerie française. Tome II. Fayard, 1974.