80 ans de guerres fratricides : les rekenpennings

Publié le 10 Avril 2021

Avertissement.

 

Je vais aborder ici un point d'histoire qui n'est pas relié à la franc-maçonnerie. Mais qui, je crois, permettra de mieux comprendre le cheminement des Pays-Bas méridionaux, ce qui deviendra la Belgique, entre Erasmus qui, au début du XVIe siècle, essaya, en vain, de rassembler ce qui était épars et dont il pressentait la terrible évolution vers les guerres de religion et l'aufklärung catholique du XVIIIeme siècle, que nos régions, et certainement la maçonnerie naissante au sein de celle-ci, avaient adopté.

Un chaînon manquant, pas le seul, tant il est vrai que rien ne naît spontanément, au contraire, les cheminements et les bouillonnements expliquent bien des orientations qui nous semblent si évidentes après coup.

Bonne lecture !

&

&&

 

 

Introduction.

 

Les rekenpennings ou jetons de calcul (ou jetons de compte), étaient utilisés sur des tables de calcul que l'on appelait des "comptoirs", à l’instar des bouliers compteurs que les chinois connaissaient.

 

C’est le système décimal qui était utilisé, à l’image des 10 doigts de la main qu’on utilisait beaucoup pour compter, mais aussi du système des chiffres romains. La première rangée était pour les unités, la suivante pour les dizaines, puis les centaines, et ainsi de suite. Leur usage, sous forme de pièces de métal, par les « cours de compte » des États (de Flandre, de Namur, de Brabant, etc.), est très ancienne et attestée dès les premiers ducs de Bourgogne. On rassemblait les jetons de calcul dans des bourses.

 

Le motif des images était souvent voté lors de l’assemblée des États de façon à correspondre aux sentiments du moment. On comprend mieux pourquoi certains de ceux-ci portent la mention : S.C. qui veut dire « Senatus Consulte » ou décret du sénat, en d’autres termes, sur décision de l’assemblée.

 

Voici un exemple de jeton, souvent nommé « maître d’école », qui reprend sur l’avers une table de calcul et sur le revers l’alphabet en 23 lettres, encore assez classique à la renaissance ou même plus tard, jusqu’au XVIIIe siècle. Ce jeton daterait du milieu du XVIe siècle si l’on en croit d’autres jetons avec des images similaires, sinon identiques, mais datées (1553).

 

 

 

 

 

 

 

Durant la guerre civile des 80 ans dans les Pays-Bas, un grand nombre de rekenpennings furent produits qui racontent, d’une manière vivace, naïve et satirique, les événements de cette guerre. Il en existe également pour le sud, surtout à partir de l’époque des archiducs. Mais les plus intéressants et nombreux viennent du nord, la future République des Sept Provinces Unies.

 

Ils permettent de suivre pas à pas cette guerre de 80 ans avec les yeux des habitants de l’époque, chacun selon son ‘camp’. En cela, c’est une source primaire historique tout à fait étonnante, spontanée et populaire. La verve des premiers temps s’éteint cependant progressivement et à partir de 1610, cela devient moins spontané, moins moqueur.

À l’aide de rekenpennings, nous allons tracer les contours de cette histoire. Il n’empêche que cela reste un raccourci, beaucoup d’autres jetons permettraient d’approfondir et d’explorer les divers coins de celle-ci.

 

Ce sont des objets en cuivre jaune, blanc, ..., sphériques, d’un diamètre variant entre 27 et 29 mmm et d’une épaisseur entre 1,1 et 1,3 mm. Certains peuvent être en argent ou même en or lorsqu’ils étaient offerts à des personnes de qualité.

Parfois on les utilisait frauduleusement comme pièce de monnaie, essayant même de faire passer le laiton pour de l’or. D’où l’expression « faux comme un jeton » et sa forme contractée « faux jeton » désignant une personne indigne de confiance.

 

De nombreux auteurs se sont penchés sur le phénomène des médailles, monnaies et jetons dès le XVIIe siècle. Alphonse De Schodt, dans son étude « Le jeton comme instrument de calcul », (Bruxelles, 1875), aborde l’un ou l’autre auteur dans son historique.

Certains ont publié de larges inventaires des jetons des Pays-Bas. Nous nous en inspirerons. Il s’agit de Gerard Van Loon : « Histoire métallique des 17 provinces des Pays-Bas », en deux tomes, de 1732 pour sa traduction en français (venant du néerlandais). Ouvrage déjà très complet qui met chaque jeton en situation. Nous nous appuierons, dans la mesure du possible, pour les titulatures, sur les traductions du latin proposées par cet auteur, ainsi que sur ses propositions de mise en situation. Cependant, la référence principale est « Le Jeton historique des dix-sept provinces des Pays-Bas » de Jean-François Dugniole en 4 tomes, de 1878, dont nous suivrons la chronologie. Nous utiliserons également le catalogue réalisé en 1885 lors de la vente publique de la collection de Louis de Coster, très précis.

Nous ferons également un détour, pour les éléments concernant spécifiquement cette ville, par le livre de I. Van Iseghem : « Éléments de numismatique ostendaise » de 1903.

 

Les jetons de cette période produite dans les Pays-Bas du sud et du nord sont assez spécifiques, issues déjà d’une vieille tradition.

Beaucoup sortent des ateliers de Dordrecht (près de Rotterdam), un grand producteur de ces images populaires de propagande. Les signes utilisés par les différentes fabriques de ces jetons, sont généralement tirés des armoiries de la ville (ni toujours, ni exclusivement) : pour Dordrecht une fleur à 5 pétales, pour Middelbourg (Zélande) une tour à trois créneaux avec une porte (cela ressemble parfois à un petit bonhomme), pour Utrecht des boules en croix, pour Anvers une main souvent au milieu de la date, pour Bruxelles un (arch)ange, pour Maastricht une étoile. Ces marques de fabrique se trouve au niveau de la titulature d’une des deux faces.

 

La guerre de 80 ans débute classiquement, sous Philippe II d’Espagne, le 5 juin 1568, lors de l’exécution des comtes d’Egmont et de Hornes sur la grand-place de Bruxelles. D’autres auteurs sont plus précoces, et font remonter le début de cette guerre à la bataille de Heiligerlee dans la province de Groeningue, le 23 mai 1568, remporté par les rebelles. Les deux événements sont liés. C’était l’époque des iconoclastes.

 

Elle se termine avec la paix de Munster de 1648, sous Philippe IV d’Espagne, doublée de la paix de Westphalie, qui signe la fin des guerres de religion. Les closes de cette paix, durable, entérinent une situation catastrophique pour la prospérité des Pays-Bas du sud, avec la fermeture de l’Escaut (Anvers), du Sas de Gand (Gand) et du Zwin (Bruges). Dunkerque avait été pris deux ans auparavant par les Français en 1646. Cette ville sera reprise par les troupes espagnoles en 1652 pour être définitivement perdue en 1658. Comme débouché sur la mer, ne restait alors plus qu’Ostende (et secondairement Nieuport), port à marée, peu profond, gagné par le sable. C’est à l’image du siècle des malheurs qui s’était abattu sur les Pays-Bas méridionaux, qu’à l’inverse, le XVIIe siècle fut d’or pour les Sept Provinces Unies.

Nous devons comprendre que les Pays-Bas de Charles Quint était un ensemble riche avec des villes où se concentrait au moins 50 % de la population, ce qui était exceptionnel pour l’époque. Le commerce était soutenu par une activité maritime intense avec Anvers comme premier port d’Europe. Les conquêtes espagnoles dans les vastes régions de l’est et de l’ouest du monde participaient de ces échanges où jamais le soleil ne se couchait. On comprend mieux l’enjeu de cette rébellion, qui, dans ses débuts, était, à la fois une guerre de libération des violences espagnoles et un mouvement religieux « augustinien », qui se concrétisait à cette époque dans le calvinisme. Ce sont des dimensions importantes permettant de comprendre l’adhésion des populations, surtout des villes (Tournai, Bruxelles, Bruges, Gand, Anvers, Nimègue, Amsterdam, etc.), soudées contre l’oppression qui atteignit des sommets avec le duc d’Albe. Il s’agissait aussi de maintenir, sinon d’augmenter cette prospérité, notamment par une maîtrise sur les mers et océans. Et c’est ce que fit la République des Sept Provinces, en ce compris les échanges lointains. Indéniablement ce fut une réussite.

Sur le plan religieux, l’augustinisme restera vivace dans les Pays-Bas méridionaux avec la montée dans la première moitié du XVIIe siècle du jansénisme (du nom de l’évêque d’Ypres, Cornelius Jansen), qui, avec des accents différents de celui de France, va connaître au XVIIIe siècle une résonance considérable dans ce qu’on appelle l’ « aufklärung catholique », porté par les Autorités de l’époque.

Cette histoire est aussi, par bien des côtés, malheureusement, une répétition qui se continuera au cours des temps : probablement que les belligérants entre eux auraient été capables de trouver une solution, mais les puissances de l’époque y trouvèrent rapidement un champ où s’affronter.

 

(Notons: Le terme "lion belgique" -belgique était un adjectif à cette époque- est utilisé indifféremment pour les provinces du nord comme du sud, c'est un terme héraldique générique désignant le lion repris dans quasi toutes les armoiries des États de ces régions.)

 

&&&

&&

&

Présentation des jetons

 

1. Le 8 novembre 1576. La pacification de Gand.

Elle représente la dernière tentative de résoudre pacifiquement les différents et surtout mettre au pas les mercenaires non payés qui pillent le pays, avec le terrible sac, appelé la « furie d’Anvers , du 7 novembre 1576 qui coûta la vie à plusieurs milliers d’habitants. La signature de la pacification, difficilement négociée, le lendemain du sac, en est une conséquence. Elle se réalise entre les 17 Provinces, durant la vacance du pouvoir espagnol, suite au décès du Gouverneur Luis de Requesens qui avait succédé au duc d’Albe, et son remplacement par Don Juan d’Autriche, ce qui prit du temps. Cette pacification tiendra plus ou moins jusqu’en 1579.

L’avers montre un cavalier avec la titulature : « Non Placent Domino Militis Ocreae » (Les bottes de soldats ne plaisent pas au Seigneur), ce qui est explicite. En exergue la date.

Le revers montre Gédéon, à genou, face à la Toison d’or, qui tend les mains vers le ciel où se trouve une nuée avec le nom de Dieu en hébreu, avec la titulature : « Timenti Dominum Omnia Cooperantur in Bonum » (Toutes choses concourent au bien de ceux qui craignent le Seigneur : verset 8/28 de l’épître aux Romains de Paul).

Van Loon : I, p 224

Dugniolle : 2692

De Coster : 127

Van Iseghem : -

 

2. 1579 Rupture de la pacification.

L’avers montre des cavaliers et fantassins se battre, avec une titulature qui reprend la première partie de la phrase, et le revers montre les cadavres d’Egmont et Hornes avec leur tête sur une pique, rappel des événements déclencheurs, avec la seconde partie de la titulature. Le tout : « Praestat pugnare propatriae, quam simulata pace decipi » (Il vaut mieux combattre pour la patrie, que se laisser duper par une paix factice.)

Van Loon : I, p 270

Dugniolle : 2778

De Coster : 144

Van Iseghem : -

 

 

3. 1580 Négociations à Cologne et suspicions.

C’est à cette époque que se place l’épisode du duc d’Anjou, frère d’Henri III de France, que les provinces rebelles désiraient voir devenir Roi de l’ensemble des Pays-Bas, ce qu’on appelait à l’époque le ‘Cercle de Bourgogne’. Le traité de Plessis-lès-Tours fut signé en septembre 1580 entre les deux parties. Rapidement cependant, elles se disputèrent et l’aventure du duc d’Anjou se termina en 1583.

Avers. Le lion belgique est attaché à un poteau tandis qu’une souris s’efforce de le détacher, avec la titulature : « Rosis leonem loris mus liberat » (La souris libère le lion en rongeant ses liens). Ceci renvoie à la fable d’Ésope « le lion et le rat ». En exergue, la date. Revers : le lion détaché se voit offrir un rameau d’olivier par le Roi qui tient dans son autre main le collier de l’inquisition. Il est soutenu par le pape. La titulature explicite : « Liber revinciri leo pernegat » (Le lion délivré s’obstine à ne point reprendre ses chaînes).

Van Loon : I, p 274

Dugniolle : 2797

De Coster : 146

Van Iseghem : -

 

 

4. 1581 Conséquence logique de l’échec, à la fois, des négociations et du traité passé avec François d’Anjou, l’abjuration du roi Philippe II par les Gueux (acte de La Haye du 26 juillet 1581). Cet acte est un tournant de l’histoire et réalise la naissance du nouvel État, les Provinces Unies.

Avers. Un homme, muni d’une masse, veut obliger le chien à manger son vomis avec la titulature : « Potius mori, quam ut canis ad vomitum » (Plutôt mourir que de retourner, comme le chien, à son vomis). Souvent, dans les jetons, le chien représente les « rebelles » (les Gueux). En exergue, la date. Au revers, l’appel à Dieu est entendu : une flèche sort des nuées, blesse l’homme et permet au chien de s’échapper, avec la titulature : « Perde, qui contristant animam meam » (Perdez, ceux qui affligent mon âme).

Van Loon : I, p 293

Dugniolle : 2827

De Coster : 160

Van Iseghem : -

 

5. 1584. Peu après la prise de Dunkerque, Guillaume le Taciturne est assassiné par Balthazar Gérard, le 10 juillet 1584. Médaille des ateliers de Dordrecht. C’est également un tournant dans la radicalisation des parties. Avers : « Tout en saluant le prince, le meurtrier dirige contre lui un pistolet. Le roi d’Espagne pousse de son sceptre l’assassin vers le Taciturne. » (De Coster). En exergue la date. La titulature : « O Dirum scelus, non manebit inultum » (O crime horrible ! Il ne demeurera pas impuni ». Au revers, on voit un loup se précipiter à la gorge du pasteur qui mène son troupeau. En exergue « Confidite » (Ayez confiance). La titulature « Pastorem occidit, ne vos credite lupo » (Ne vous fiez pas au loup, il vient de tuer votre berger).

Van Loon : I, p 338

Dugniolle : 2995

De Coster : 186

Van Iseghem : -

 

 

 

 

 

 

 

Rijksmuseum-Amsterdam.

6. 1584. Reprise de Dunkerque au Gueux.

L’année précédente, en 1583, la ville de Dunkerque était reprise par Alexandre Farnèse, duc de Parme, général de Philippe II. Il était le petit-fils de Charles Quint, et fils de Marguerite de Parme, fille naturelle de celui-ci, qui fut gouvernante des Pays-Bas. Ensuite, il y aura l’amnistie en 1584, puis l’autorisation de faire la course en mer (corsaires) en 1585. C’est à ce moment que commence l’histoire et la légende de Dunkerque, ville corsaire. Depuis 1576, suite à la pacification de Gand, la ville se trouvait sous l’autorité du prince d’Orange avec Gravelines et Nieuport. Les Gueux étaient maîtres de toute la côte occidentale (et orientale), puisque Ostende et Anvers étaient également sous leur contrôle. En 1583, Alexandre Farnes va reprendre Dunkerque, Nieuport, Dixmude et Menin à ceux-ci, puis ce sera le tour de Gand, Bruxelles, puis Nimègue et Anvers. L’avers montre Alexandre Farnes couronné en avant plan sur un cheval. À droite ses troupes, à gauche la ville avec ses nombreux clochers. Au-dessus une représentation de Dieu qui étend son bras droit. La titulature : « Domine in virtute tua laetabitur Rex » (Seigneur, en ta force le roi se réjouira) : c’est la première partie du verset 2 du psaume 20. Au revers, l’écu couronné de Philippe II entouré du collier de la toison d’or. La titulature : « Gect du bureau des finances . 1584 » (Gect pour gectoir ou jeton).

Van Loon : -

Dugniolle : 3027

De Coster : -

Van Iseghem : -

 

7. 1585. Reprise des villes d’Anvers et de Nimègue aux Gueux, par Alexandre Farnèse.

La ville d’Anvers était à l’époque la plus grande ville des Pays-Bas de Charles Quint. Celle-ci et Nimègue (en Gueldre) furent reprise par Alexandre Farnèse, qui commandait les armées espagnoles aux Pays-Bas. La prise de la ville d’Anvers fut fameuse. Farnèse entreprit des travaux gigantesques, le fameux canal de Parme entre Gand et Anvers, qui permit d’amener les matériaux et troupes nécessaires à la construction et défenses des forts sur l’Escaut. Ceux-ci permirent d’isoler la ville d’Anvers de tout ravitaillement. Après une année de siège, elle tomba en 1585.

La médaille est issue des ateliers de Dordrecht : nous avons donc ici le commentaire des rebelles sur ces événements. Sur l’avers on voit un cheval et un âne qui représentent les deux villes, manger du foin à une même auge remplie par deux Espagnols avec la titulature : « Spreta Ambrosia, vescitor feno » (Ayant méprisé l’ambroisie, mangez du foin.) Au revers, on voit la reine d’Angleterre, entouré de rose (l’emblême royal) recevoir deux émissaires des Provinces Unies qui demandent du secours, avec la titulature : « Macte animi, Rosa nectare imbuta » (Reprenez courage, la rose est trempée dans le nectar).

Van Loon : I, pp 356-7

Dugniolle : 3044

De Coster : 192

Van Iseghem : -

 

8. 1588. Ce jeton, en mauvais état, non repris dans le Dugniole, mais abondamment commentée dans le Van Loon (avec une erreur de date), nous vient de l’Artois qui faisait partie, à l’époque, des Pays-Bas espagnols. Les années 1586 et surtout 1587 furent des années de famine, par ailleurs assez récurrente à ces époques difficiles. En cause pour ces deux années-là, un climat froid en Île-de-France, Val de Loire, Normandie, Pays-Bas espagnols. L’Artois ne fut pas épargné. Ceci fut aggravé par des paysans qui abandonnaient leurs terres, fuyant la furie des mercenaires qui pillaient tout ce qu’il pouvait, mais aussi la violence religieuse. Par contre, l’année 1588 fut favorable, les terres étaient à nouveau cultivées et la production fut importante, d’autant que les champs sortaient d’une jachère forcée, ce qui eut comme conséquence une surproduction avec une chute vertigineuse des prix et la ruine de nombreux paysans. C’est ce que nous raconte ce jeton. Avers. On voit des épis cassés, brisés et la date 1587 de part et d’autre du motif central. Avec la titulature : « Reddit ager sterilis tristes » (Un champ stérile afflige). Au revers, c’est l’inverse, on voit des épis bien gonflés, avec la titulature « sed laetus egenos » et la date 1588 (mais un champ fertile appauvrit). Sur les deux faces, on voit en haut l’écu de l’Artois.

Van Loon : I, pp 360

Dugniolle : -

De Coster : -

Van Iseghem : -

 

9. 1588. La bataille navale de Gravelines entre Anglais et Espagnols.

Premier échec majeur de l’armada, supérieure à celle d’Angleterre, dont le but était de débarquer en Angleterre. Même si le bataille ne provoqua pas de dégâts importants à la flotte espagnole, qui possédait encore la maîtrise des mers à cette époque, le projet d’invasion de l’Angleterre fut repoussé définitivement. C’était donc bien une victoire anglaise. En outre, les courants et le vent poussèrent la flotte espagnole dans la mer du nord. Pour rentrer en Espagne, ils durent faire le grand tour. Une (petite) partie de la flotte se brisa sur les rochers d'Écosse et d'Irlande à cause de tempêtes qui sévissaient à ce moment.

Plusieurs médailles célèbrent cette victoire. Celle-ci sort des ateliers de Middelbourg.

L’avers montre une flotte de guerre, qui ne semble pas être l’armada, car ne portant pas les fanions à la croix de Bourgogne, comme c’est le cas sur d’autres jetons. On y voit trois personnages levant les bras (en signe de victoire ?). Mais cette interprétation est peut-être à contre-sens: ce pourrait être l'armada dont un navire (au fond à gauche) heurte un rocher, et les personnages appellent à l'aide ! La flotte sort du brouillard pour se montrer au soleil avec la titulature : « Post nubilla phoebus » (après le brouillard, vient le soleil). Le revers montre les écus des nobles et villes de Zélande qui entourent celui de la province avec la titulature : « Calculi ordinum zeelandia » (jetons des États de Zélande).

Van Loon : I, p 384

Dugniolle : 3187

De Coster : 204

Van Iseghem : -

 

10. 1589. Toujours les conséquences de la bataille navale de Gravelines de l’année précédente et l’acteur principal de cette bataille, l’Angleterre.

Avers. On voit la reine Élisabeth sur son char triomphal, tenant en main un livre de prière en néerlandais qui énonce le « Pater » selon Matthieu (« Onze Vader in de hemel uwe naem werd geheylicht ») pour remercier Dieu, avec la titulature : « Tandem bona causa triumphat » (La bonne cause triomphe). Revers. On voit un nid attaqué par un oiseau de proie. Ils joignent leurs forces pour le repousser, avec deux mots, de part et d’autre du tronc, Bellum  Necessarum (la guerre est nécessaire). La titulature : « Si non viribus ad causa potiores» (Supérieurs, si non en force, du moins en bonté de cause).

Van Loon : I, pp 388-9

Dugniolle : 3230

De Coster : 207

 

11. 1590. Prise de Breda par Maurice d’Orange-Nassau.

Breda était une ville clé du Brabant septentrional, qui changea plusieurs fois de mains dans le dernier quart du XVIe siècle et subit un sac par les armées espagnoles. Elle est à 10 km de Rotterdam et à moins de 5 km de la frontière belge actuelle. Elle se situe au confluent de la Mark et de l’Aa qui se jettent dans la Meuse. Sa citadelle est solide. Elle sera reprise par Ambroise Spinola en 1624, pour être définitivement acquise aux Sept Provinces en 1637 par Frederic-Henri d’Orange Nassau. L’épisode raconté ici est la reprise de la ville par les armées des Sept Provinces en cette fin de siècle. Il faudra attendre Spinola pour qu’elle rechange de main. L’Avers montre le stratagème qui fut utilisé pour prendre la citadelle. On est encore en hiver. Des navires transportant de la tourbe, qui permet de se chauffer, avait été aménagé pour cacher des soldats. Ils furent normalement accueillis par les gardes espagnols de la place. Un véritable cheval de Troie qui a parfaitement fonctionné. La ville, quant à elle, se donnera immédiatement au vainqueur sans un coup de feu, sans doute soulagée du départ des Espagnols. La titulature comportant la date de la conquête : « Parati vincere aut mori 4 nonarum martii » (prêt à vaincre ou mourir le 4 mars). Le revers est un texte : « Breda a servitute Hispana vindicata ductu principis Mauritii a Nassau Anno CIC IC XC » (Breda délivré de l’esclavage espagnol sous la conduite du prince Maurice de Nassau en 1590).

Van Loon : I, pp 402

Dugniolle : 3255

De Coster : 214

Van Iseghem : -

 

12. 1591. À nouveau des négociations de paix à laquelle les Gueux ne croient pas. Elle est proposée par l’Empereur au nom du Roi d’Espagne.

Notons qu’Alexandre Farnèse décède à Arras en 1592 (qui faisait alors partie des Pays-Bas), après une campagne difficile contre Henri IV, menée en France, où il montre à nouveau ses qualités de stratège, suivie d’une disgrâce par Philippe II qui lui retire son gouvernorat.

Avers. « Dans un clos, la pucelle des provinces-Unies sommeille accoudée à l’écu belgique ; à l’arrière-plan, une armée est rangée sous l’enseigne espagnole (la croix de Bourgogne) ; à droite et à gauche, des soldats tentent de franchir la haie du clos, tandis que deux ambassadeurs, tenant un rameau d’olivier, se présentent à l’entrée » (Catalogue De Coster), avec la titulature « Pax Patet Insidiis » (La paix est ouverte aux embûches). En exergue, la date. Au revers, la même femme est debout, le glaive à la main et elle repousse, avec ses soldats, les envahisseurs qui sont représentés morts ou en fuite, avec la titulature : « Tuta salus bello » (Le salut dépend de la guerre).

Van Loon : I, p 416.

Dugniolle : 3288

De Coster : 222

Van Iseghem : -

 

13. 1596. Alliance entre la France, l’Angleterre et les Provinces Unies. C’est un acte politique majeur qui hisse les provinces rebelles dans le concert international. L'avers montre une main sortant d’une nuée qui tient un lac d’amour à trois brins, on en comprend bien la raison : « Rumpitur haud facile » (Il ne se rompt pas facilement). Le revers montre un lion belgique couronné tenant dans la main gauche un faisceau de 7 flèches représentant les Sept Provinces et dans la main droite une épée levée. C’est une représentation de puissance des Provinces Unies que l’on retrouve sur plusieurs jetons au cours des âges. L’inscription entre les pattes S.C. signifie par décret du sénat.

Van Loon : I, p 471.

Dugniolle : 3398

De Coster : 257

Van Iseghem : -

 

14. 1598. Buste de Philippe II.

Le 13 septembre de cette année, le Roi Philippe II décède. Durant cette même année, sa fille chérie, l’infante Isabelle, issue de son mariage heureux avec Elisabeth de Valois, fille de Henri II de France et de Catherine de Medicis, épouse son cousin l’archiduc Albert d’Autriche. Ils accèdent immédiatement à la tête des Pays-Bas (méridionaux) qu’ils reçoivent en dot. Leur règne (1598-1621) fut une période un peu plus heureuse pour les territoires qu’ils gouvernent. Le couple laissera une image très positive dans l’imaginaire populaire, jusqu’à aujourd’hui. N’ayant pas de postérité, leurs trois enfants mourant en bas âge, les Pays-Bas retourneront à la couronne d’Espagne dès 1621, au décès de l’archiduc Albert. L’infante Isabelle gouvernera au nom de Philippe IV et se retirera dans un couvent. Elle décède à Bruxelles en 1633.

Notons que cette même année, Henri IV, premier des Bourbon, promulgue l’Édit de Tolérance de Nantes. Cet Édit ne tiendra pas 100 ans, puisqu’il fut révoqué en 1695.

Van Loon : -

Dugniolle : 3455

De Coster :279

Van Iseghem : -

 

15. 1598. Décès de Philippe II vu par l’autre partie. Ce fut le dernier souverain naturel de la partie nord des Pays-Bas. Le jeton qui fut frappé à cette occasion apparaît respectueux, mais non sans un pointe de défit ou de rappel avec la reprise de la devise de la Réforme protestante. Ce jeton rappelle que tous sont égaux devant la mort. L’Avers : un squelette s’y trouve, tenant dans une main une clepsydre et dans l’autre une flèche qui traverse la couronne. Il repose sur un sceptre et une bêche, rappelant cette égalité, à ses pieds la couronne. La date du 13 septembre 1598 entoure le squelette, avec la titulature : « Mors sceptra ligonibus aequat » (la mort fait égaux la bêche et le sceptre). Le revers porte l’écu couronné de Zélande, avec la titulature : « Verbum Domini manet in aeternum » (La parole de Dieu demeure éternellement : c'est la devise de la Réforme) . Atelier de Middelbourg.

Van Loon : I, p 500

Dugniolle : 3459

De Coster :280

Van Iseghem : -

Jeton provenant des collections du Rijksmuseum à Amsterdam.

16. 1600. La bataille de Nieuport. Dans un élan irrésistible, l’armée de Maurice de Nassau, le long des côtes, se dirige sur Dunkerque. Il prend Nieuport en battant sèchement l’armée espagnole, la voie est libre. Les Pensionnaires des États généraux des Provinces Unies le stopperont dans son élan et le rappelleront, à sa grande fureur. La reconquête d’Ostende par les armées de l’archiduc Albert s’est alors non seulement ouverte de façon paradoxale, mais fut rendue nécessaire pour empêcher toute nouvelle poussée.

Sur l’avers, nous voyons l’armée des Provinces Unies mettre en fuite l’armée espagnole, Maurice de Nassau est à l’avant plan sur son cheval. La titulature : « Hoc opus Domini exercituum » (Ici, l’ouvrage du Dieu des armées). Le revers montre l’écu couronné d’Utrecht avec la titulature : « Calculus ordinum Trajectensium  » (jeton des ateliers d’Utrecht).

Van Loon : I, p 535

Dugniolle : 3507

De Coster :308

Van Iseghem : -

 

17. 1601. Suite aux velléités des archiducs de reprendre Ostende.

Du côté des Provinces Unies, nous assistons aux préparatifs de guerre pour la défense d’Ostende. Levée d’impôts et mise en place de navires pour la défense de la côte, ainsi que des préparatifs dans Ostende même. Le siège de la ville, qui faisait partie à ce moment des États de Zélande, pouvait commencer. Il durera de 1601 à 1604 et sera d'une violence rare pour l'époque. L’avers montre un vaisseau désemparé sans mat et sans gouvernail avec la titulature : « Incuria curas parit » (Le manque de soins est fertile en soins fâcheux). Le revers montre l’écu couronné de Zélande avec sa devise : « Luctor et Emergo » (Je lutte et émerge).

Van Loon : I, p 541

Dugniolle : 3516

De Coster : 313

Van Iseghem : 11

 

18. 1602. Le siège d’Ostende est engagé.

Si les opérations sur mers sont importantes, les opérations sur terre le sont tout autant, notamment dans le Brabant septentrional. La ville fortifiée de Grave tombera après deux mois de siège face aux armées de Maurice de Nassau. Cette victoire est liée à la défense d’Ostende, empêchant une concentration de troupe à un seul endroit. L’avers montre un « chasseur donnant du cor, tandis que ses chiens poursuivent un lièvre. Dans l’air, des oiseaux fuient devant un épervier » (De Coster). Le chasseur représente Maurice de Nassau. La titulature : « Parta tenens, non parta sequor » (Retenant ce que j’ai pris, je cours après ce que je n’ai pas encore pris). Le revers montre l’écu couronné de Zélande entouré d’une inscription désignant la chambre de commerce de Zélande, avec une titulature qui joue avec les mots et désigne les villes de Grave et Ostende : « GRAVAte licet, trophaea OSTENDAM dupla » (J’étalerai deux trophées, quoique obtenus avec peine).

Van Loon : I, p 552

Dugniolle : 3537

De Coster : 323

Van Iseghem : 16

 

19. 1603. Ce jeton-ci vient des ateliers d’Anvers, avec la représentation de la main de la ville qui sépare la date en deux à l’avers et au revers au niveau de la titulature. Le jeton célèbre l’arrivée d’Ambroise Spinola à la tête de nouvelles forces armées, mais aussi des finances. L’archiduc Albert désespérait d’enlever Ostende, alors que Maurice de Nassau ravageait le Brabant septentrional. L’arrivée de Spinola fut bénéfique pour les « méridionaux ».

L’avers montre un aigle tenant dans son bec une couronne de laurier. Les pattes de l’animal repose sur deux autels. Celui de droite est orné d’un balance et la patte qui s’y appuie tient un glaive. Celui de gauche est orné de deux branches d’olivier (ou de palmier?). La patte repose à côté d’un feu (un buisson ardent?). La titulature : « Religione et Justicia ». Le revers représente des ruines sur lesquelles poussent des plantes et des fleurs. On y voit un engin de construction. La titulature : « Collapsa resurgent » (Ce qui est ruiné resurgira).

Van Loon : II, pp 6-7

Dugniolle : 3554

De Coster : -

Van Iseghem : 30

 

20. 1603. Au contraire du précédent, ce jeton vient des ateliers de Dordrecht. Il témoigne de la méfiance vis-à-vis d’Ambroise Spinola et de ses promesses d’amnistie, ainsi que de la solidité de la position des Provinces Unies sur Ostende. Pour illustrer cela, la fable d’Ésope sur le coq et le Renard est utilisée. Deux visions bien différentes selon son camp. L’avers représente un renard s’adressant à un coq perché sur un arbre. La titulature : « Aliud in lingua, aliud in pectore » (autre chose sur la langue, autre chose sur le cœur). Le revers montre Ostende entouré de ses défenses et toujours accessible pour les défenseurs par mer, avec la titulature : « In adversis virtus » et la date (la vertu dans l’adversité).

Van Loon : II, pp 9-10

Dugniolle : 3559

De Coster : 333

Van Iseghem : 33

 

21. 1604. La prise de la petite ville de Sluys (L’Écluse) par Maurice de Nassau à la tête d’une armée anglo-hollandaise, le 20 août 1604, précède de peu la prise d’Ostende par Ambroise Spinola. Elle confirme la main-mise des Provinces Unies sur l’embouchure de l’Escaut, fermant le port Anvers, ainsi que sur l’utilisation du Zwin pour le port de Bruges. L’avers montre la ville de Sluys avec la titulature : « Soli Deo Gloria » (pour la seule gloire de Dieu). Et le revers, différentes places prises par Maurice de Nassau (Sluys, Rynberg, Grave, Ardenbourg, le fort d’Ysendijk, l’île de Cadzand), avec la titulature : « Patriae quatuor ex me urbes dedi » (j’ai donné à la patrie 4 villes).

Van Loon : -

Dugniolle : 3587

De Coster : -

Van Iseghem : - (l’avers est le même que celui du n°49 et le revers est le même que celui du n°48)

 

22. 1604. La prise d’Ostende date du 20 septembre 1604, soit exactement 1 mois après Sluys. Ce jeton sort des ateliers de Dordrecht, il met en avant la prise de Sluys qui compense la perte d’Ostende. L’avers est le même que la médaille précédente. Le revers montre la ville d’Ostende et ses assaillants. La titulature est explicite, elle est en grec et nous dit : de l’or pour du cuivre.

Van Loon : II, p 17

Dugniolle : 3588

De Coster : 342

Van Iseghem : 49

 

23. 1604. La prise d’Ostende vue par l’autre camp est évidemment fort différente. Elle porte en triomphe Ambroise Spinola. Cette bataille, qui dura 3 ans, fut un véritable carnage. Les estimations les plus fortes parlent de 120 000 décès, équitablement partagés. Cela représente plusieurs armées de l'époque qui y furent englouties. Les chroniqueurs contemporains de l'événement parlèrent du "grand carnaval de la mort". C'est donc un moment particulier dans l'histoire de la guerre civile des 80 ans. Probablement que c'est à ce moment que deux pays aux comportements et aux aspirations différentes commencèrent à émerger: le sud et le nord s'individualisaient.

La ville était entièrement détruite lorsque les troupes espagnoles entrèrent, ils n’y trouvèrent, dit-on, plus qu’un habitant. Tout était à reconstruire et à repeupler. C’est ainsi que l’histoire maritime de ma famille commença. Ce jeton, sorti des ateliers d’Anvers (la main se trouve au niveau de la titulature, mais dans l’exemplaire ici, n’est pas visible), met en scène un homard qui représente Ostende. Dure et dangereuse à l’extérieur, délicieuse à l’intérieur. Ce n’est pas la seule représentation d’Ostende sous forme de homard. Autre bénéfice concomitant à cette prise d’Ostende est le traité de paix entre l’Espagne et l’Angleterre de Jacques II peu de temps avant, en août 1604. La reine Elisabeth, soutien précieux des Provinces Unies, était décédée en 1603. L’avers montre un homard entouré d’une forêt d’épines. Le tout surmonté de deux couronnes (les archiducs). La titulature fait un jeu de mot avec Spinola : « Tandem inhaeret spinulis » (Enfin prise par les épines). Le revers est plus classique, il présente l’écu couronné des archiducs entouré de la toison d’or avec la titulature de la chambre des comptes du Brabant.

Van Loon : II, p 18

Dugniolle : 3595

De Coster : -

Van Iseghem : 56

Jeton provenant des collections du Rijksmuseum à Amsterdam.

 

24. 1606. Le doute assaille les Provinces Unies.

Les opérations sur terre et sur mer sont très décevantes. Il faut se ressaisir. On frappa des jetons pour interroger les hésitants et renforcer la cohésion de chacune des parties. Le ver était cependant dans le fruit, comme nous le verrons ci-après. L’avers montre un navire pris dans la tempête où chacun fait son travail de façon coordonnée pour sauver le navire. La titulature : « Servat vigilantia concors » (La vigilance unanime sauve). Le revers porte l’interrogation suivante : Modicae fidei, quid timetis ? (Pourquoi êtes-vous si craintif, hommes de peu de foi ? Évangile de Matthieu, 8,26).

Van Loon : II, p 24

Dugniolle : 3611

De Coster : 346

Van Iseghem : -

 

25. 1607. Médaille sortant des ateliers d’Anvers, la main se trouve au niveau de la titulature de l’avers. Les pourparlers de paix s’engagent entre les provinces du sud et les provinces du nord. Autour des protagonistes se trouvent les ambassadeurs de France et d’Angleterre. Ces pourparlers sont rendus d’autant plus difficile que la discorde règne dans le camp des Provinces Unies. Après plus d’un an de pourparlers qui piétine, où les Espagnols désiraient que les Bataves cessent leurs attaques contre les colonies espagnoles et portugaises de l’est comme de l’ouest. En effet, les deux compagnies hollandaises (VOC et WIC) ravageaient ces territoires et en ramenaient des fortunes qui enrichissaient considérablement la République. Et où, de l’autre côté, les Provinces Unies voulaient une reconnaissance pure et simple du nouveau pays et des possessions acquises. Les exigences mutuelles n’étaient pas acceptables par les parties. Finalement les ambassadeurs de France et d’Angleterre arracheront un long cesser-le-feu, une trêve de 12 ans en 1609. L’avers montre un lion accroupi en face d’un chien avec lequel il joue. Dans beaucoup de jeton, le lion représentait les provinces du sud et le chien les provinces du nord. Les codes sont bien connus à cette époque. La titulature : « Respice finem » (considerez la fin). Le revers montre les bustes face à face des archiducs Albert et Isabelle qui désirent la paix. Notons que la titulature porte le nom d’Elisabet au lieu d’Isabelle : c’est une traduction en latin ou français d’époque admise d’Isabella, d’autant que c’est le prénom de sa mère. « Albertus et Elisabet. Dei gratia ».

Van Loon : II, p

Dugniolle : 3622

De Coster : 151

Van Iseghem : -

 

26. 1607. Cette fois, c’est un jeton sortant des ateliers de Dordecht. Il montre à nouveau la méfiance des Provinces Unies face aux négociateurs des archiducs. L’avers montre Ulysse assis sur une petite hauteur. En face de lui, Mercure lui présente une plante magique, moly, source de vie, qui permet de résister aux charmes de Circé et de ne pas être transformé en porcelet. Ceci est tiré de l’Odyssée. C’est une métaphore de la raison, de la clairvoyance. La titulature : « Mentemque manumque » (et l’esprit et la main). Le revers montre un homme armé de pied en cap à qui une main offre ce qui apparaît être un rameau d’olivier. La titulature : « Non temere fallitur non fidens » (celui qui est dans la défiance n’est pas facilement trompé). En exergue, de part et d’autre des pieds : S.C. (par décret du sénat).

Van Loon : II, p 34

Dugniolle : 3624

De Coster : 353

Van Iseghem : -

 

27. 1608. Les négociations continuent avec difficulté. L’avers montre un habitant des Sept Provinces les mains en prière qui doit choisir entre le rameau d’olivier et l’épée. La titulature : « Fiat voluntas tua » (que votre volonté soit faîte : évangile de Matthieu, 6,10). Le revers montre un faisceau de 7 flèches -les sept provinces- entouré des S et C pour senatus consulte -décrès du sénat-. La titulature : « Fortitudo Belgica » (le courage belgique : n’oublions pas qu’à l’époque belgique est un adjectif qui s’applique à l‘ensemble des Pays-Bas, du sud comme du nord, de même on utilise le terme ‘lion belgique’ de part et d’autre).

Van Loon : II, p 36

Dugniolle : 3628

De Coster : -

Van Iseghem : -

 

28. 1609. La trêve est finalement conclue, les deux chefs d’armée peuvent, sur une médaille, se serrer la main. C’est un jeton des ateliers de Middelbourg résolument optimiste. Car après la trêve, la guerre reprendra et les deux protagonistes se retrouveront face à face. L’avers montre Ambroise Spinola et Maurice de Nassau se serrer la main, après avoir déposé leurs pièces d’armure. La titulature : « Nec arma nec induciae sed Deus protegit suos » (Ce ne sont pas les armes, ni la trêve, mais Dieu qui protège les siens). Le revers montre l’écu couronné de Zélande avec la titulature « Et Dominus perficiet pro eis » (Et Dieu l’achèvera pour eux : petite modification du psaume 138/8  'Dominus perficiet pro me').

Van Loon : II, p 47-8

Dugniolle : 3644

De Coster : 365

Van Iseghem : -

Jeton provenant des collections du Rijksmuseum à Amsterdam.

29. 1609. Sur l’insistance des délégations françaises et anglaises, les pourparlers débouchent donc sur une trêve de 12 ans aux Pays-Bas (ou traité d’Anvers), qui sera d’ailleurs respecté. La vigilance semble de mise du côté hollandais. Dans la réalité, les factions sont en train de miner la cohésion du nouveau pays. Et parce que, temporairement, il n’y ait plus d’ennemi aux portes, elles vont pouvoir s’exprimer avec violence. L’avers montre un soldat se reposant sur un tambour, ses armes, casques, et autres l’entoure. La titulature : « Quiesco » suivi de la date puis des lettres S.C. (je me repose … par décret du conseil). Le revers montre Mercure qui tire l’oreille d’un homme assoupi, la tête reposant sur son bras gauche posé sur une table. La titulature : "Plus vigila » (veillez d’autant plus).

Van Loon : II, p 56

Dugniolle : 3651

De Coster : 370

Van Iseghem : -

 

30. 1609. La tonalité est différente du côté des archiducs. C’est un soulagement. L’avers montre un lion marchant sur ses quatre pattes, surmonté d’une branche d’olivier et d’un sceptre placé en sautoir. La titulature : « Vis imperio secura benigno » (la puissance est en sécurité par la douceur du gouvernement). En exergue la date. Le revers montre l’écu couronné des archiducs entouré du collier de la toison d’or avec comme titulature : « Gectoirs pour la chambre des comptes en Brabant » (G pour gectoir ce qui veut dire jeton).

Van Loon : II, p 59

Dugniolle : 3658

De Coster : -

 

&

&&

La trêve se terminera en 1621, à la mort de Philippe III et de l’archiduc Albert sans postérité. Les Pays-bas méridionaux retournèrent directement à l’Autorité de l’Espagne, selon les accords de succession. La trêve fut respectée. Durant celle-ci, les Provinces Unies connaîtront une guerre civile avec le camp des pensionnaires et le camp du stathouder Maurice de Nassau, sur fond de dissension au sein du calvinisme (les remonstrants et les gomaristes). Le grand pensionnaire Jan Van Oldenbarneveld, l’architecte des accords, sera arrêté et exécuté en 1619.

Après la fin de la trêve, la guerre reprendra de la volonté des Espagnols qui voulurent détruire « Carthage », c’est-à-dire combattre ce pays qui leur faisait une guerre sans merci et un tort immense dans leurs colonies de l’est et de l’ouest. Ils eurent quelques succès sans lendemain.

&&

&

 

31. 1623. Fin de la trêve de 12 ans. Reprise en main du gouvernement des Pays-Bas méridionaux par l’Espagne et Philippe IV, qui vient de succéder à son père Philippe III. Les populations méridionales sont redevenues entièrement catholiques, les migrations mutuelles sont quasi terminées et, grâce aux Archiducs, elles se sont attachées aux souverains espagnols, et résisteront pied à pied aux ‘envahisseurs’ du nord, ce qu’elles ne faisaient pas auparavant, au contraire, soulagées d’être débarrassé des Espagnols. L’avers montre, à droite, un bras sortant d’un nuage tenant un fil de plomb entre deux sceptres placés en sautoir. La titulature : « Regnis imperat ipsis » avec la date 1623 séparée par la main des ateliers d’Anvers (Il commande aux Royaumes eux-mêmes). Le revers porte l’écu couronné du Roi Philippe IV entouré du collier de la toison d’or. La titulature : « Phil IIII D G Rex Hisp Indiar ».

Van Loon : -

Dugniolle : 3803

De Coster : 417

Van Iseghem : -

 

&

&&&

La guerre ravage à nouveaux ces contrées et en 1625, Ambroise Spinola reprend Breda après un siège de 9 mois. Maurice de Nassau décède à ce moment-là.

Moment retentissant qui fut immortalisé par le peintre Diego Velasquez. De part et d’autre, le rêve de Pays-Bas à nouveau réunis n’avait pas encore entièrement disparu, alors que les populations, elles, surtout du côté méridional, souhaitent la paix avant tout.

Victoire sans lendemain, faute de renfort. La ville passera une dernière fois de main en 1637, suite à un siège également assez dur de 3 mois, mené par le successeur de Maurice Nassau, Frédéric-Henri de Nassau.

Diego Velasquez. Prise de Breda en 1625 par Ambroise Spinola , peint 10 ans plus tard. Image Wikicommon.

&&&

&&

32. 1630. Le port et la ville d’Anvers sont à l’agonie. L’Escaut est fermé depuis des décennies, les habitants ont émigré en masse, surtout sur Amsterdam où ils ont repris leurs activités de négoces. La ville a perdu environ la moitié de ses habitants. À l’avers, on observe un vaisseau délabré portant 5 personnages et arborant le pavillon espagnol (la croix de Bourgogne) avec la titulature : « Spes superest sola, spes ultimum solamen » (L’espérance seule nous reste, l’espérance est notre dernière consolation), et en exergue au-dessus, la date séparée par une ancre. Au revers, l’écu couronné de Philippe IV, entouré du collier de la toison d’or, avec la titulature : «  Phil IIII D G Hisp et indiar rex ». Le jeton sort des ateliers d’Anvers (la main se trouve sur la titulature de l’avers).

Van Loon : II, p 186.

Dugniolle : 3853

De Coster : 426

Van Iseghem : -

 

33. 1639. La victoire hollandaise de la bataille navale des Downs sur les Espagnols, est un événement considérable, les Provinces Unies la doit à l’amiral Tromp. C’est une modification radicale dans l’équilibre des forces en Europe. L’Espagne cessa d’être une puissance maritime de premier plan au profit de la Hollande et de l’Angleterre. Elle ne pourra plus défendre efficacement les Pays-Bas méridionaux par mer, les échanges deviennent difficiles. Les acquis militaires de la courte période précédente qui suit la fin de la trêve étaient déjà en train de disparaître, Breda repris et plus encore (Maastricht par exemple). Elle précipita l’Espagne dans les pourparlers de paix avec les Provinces-Unies.

L’avers montre un lion couronné, entouré du nom Hollandia. Le revers montre le texte suivant :

De felle zee / en vlaamsche ree / an al haar wesen / die is herstelt / door Tomp den helt / Godt sy gepresen / 18 february 1639

(La mer impétueuse et la rade flamande ont été remis à leur devoir, par le héros Tromp, loué soit Dieu !)

 

Van Loon : II, p 241.

Dugniolle : -

De Coster : -

Van Iseghem : -

Du livre de Van Loon.

 

34. 1647. Ce jeton illustre les pourparlers de la paix de Munster qui interviendra l’année suivante (en même temps que la paix de Westphalie qui met fin aux guerres de religion). L’Espagne, exsangue, chercha la paix avec les Provinces Unies car elle ne pouvait plus défendre par mer sa partie des Pays-Bas depuis la défaite des Downs et où les échanges étaient devenus difficiles et périlleux. Cette paix, au détriment des provinces méridionales, sera durable et fait encore sentir ses effets, par exemple dans l’extension du port d’Anvers. D’un autre côté, la politique des Provinces Unies vis-à-vis de la France limitera partiellement l’extension de celle-ci au détriment de l’intégrité territoriale des provinces du sud par sa politique constante du « gallus amicus sed non vicinus » (La France amie, mais pas voisine). L’avers montre un navire de guerre en état de combattre. Bien que ce ne soit visible que sur une médaille similaire de plus grande taille, on pourrait observer successivement d’arrière en avant ; le pavillon de Zélande, celui des États Généraux, celui du prince d’Orange et enfin sur le beaupré, celui du conseil de l’Amirauté. La titulature : « Timide ac prudenter » (avec une prudence circonspecte). Le revers montre l’écu couronné de Zélande avec la devise de la province : « Luctor et Emergo » (Je lutte et émerge).

Van Loon : II, p 295

Dugniolle : 4010

De Coster : -

Van Iseghem : -

 

35. 1647. Même thématique, mais vu du côté méridional. Être enfin en paix semble la seule préoccupation. Le pays de Charles Quint est bien loin, c’est le siècle des malheurs et pourtant aucune arme visible, l’image est paisible. L’avers : Sous un soleil resplendissant, un petit navire de pêche au centre, à droite de petites maisons au milieu de champs et à gauche des maisons accolés les unes aux autres. La titulature : « His quoque subiecta » (Eux aussi y sont sujets). Au revers l’écu couronné de Philippe IV, entouré du collier de la toison d’or. La titulature : « Phil IIII D G Hisp et indiar rex ».

Van Loon : -

Dugniolle : 4013

De Coster : -

Van Iseghem : -

 

Conclusions.

 

L’utilisation de ces jetons de calcul populaires, les rekenpennings, nous permet de sortir de notre regard contemporain pour essayer de mieux comprendre l’époque. Le concile de Trente, concile de la contre-réforme, se termine en 1563, soit quelques années avant le début de la guerre civile. La réforme et la contre-réforme vont s’opposer avec violence dans les Pays-Bas, même si c’est avant tout une affaire de seigneurs. Le calvinisme avait gagné les grandes villes comme Bruxelles Anvers, Gand, Bruges, Tournai (qu'on appelait la Genève du nord) ou Amsterdam, Dunkerque, Ostende, etc. Philippe II décida d’y mettre un terme par l’usage de la force. Le duc d’Albe fut dépêché dans ce but et la gouvernante Marguerite de Parme, demi-sœur de Philippe II, jugée trop conciliante, fut révoquée. On comprend que les rebelles furent bien accueilli là où ils luttaient. L’émigration par l’échange des populations vers le nord et le sud fut intense. L’Église réformée wallonne, de langue française, fut même plus importante que l’Église réformée de langue néerlandaise, et pendant longtemps avec l'arrivée des Huguenots un siècle plus tard. La reprise des villes par la contre-réforme (Bruges, Anvers, …) ne fut pas favorable au développement de ces villes, au contraire bien souvent. Le tournant au niveau du comportement des populations du sud, fut l’arrivée des archiducs. Ils furent appréciés. On voit d’ailleurs apparaître des jetons à caractère populaire du sud face à ceux du nord. J’ai essayé d’en montrer quelques-uns. C’est à ce moment que petit à petit deux pays aux mentalités distinctes vont émerger. D’ailleurs les Bataves s’en rendaient parfaitement compte, ils n’étaient plus accueillis comme avant dans les contrées conquises, au contraire. La guerre, après la trêve des 12 ans, ne fut plus une guerre de libération de peuples opprimés. La paix était mure, elle sera retardée par le fait des Espagnols dont les intérêts ne coïncidaient plus avec ceux des Pays-Bas méridionaux. Elle fut finalement conclue en 1648 par la paix de Munster. Si la paix s’installait durablement entre les deux morceaux des Pays-Bas de Charles Quint, la guerre, elle, fut présente de façon quasi continue, menée par la France, dans les Pays-Bas méridionaux, pays à conquérir. C’est ainsi que l’Artois, une partie du Hainaut et une autre de la Flandre deviendront françaises. Ce fut leur siècle des malheurs, alors que leurs anciens compatriotes du nord connurent leur siècle d’or. Voilà ce que nous racontent les rekenpennings.

Rédigé par Christophe de Brouwer

Commenter cet article