Halifax inference : un hoax ?

Publié le 2 Novembre 2016

Introduction

 

L’arrivée du grade maçonique de Knight Templar aux États-Unis est "rapide" et précède les premières mentions de ce grade en Irlande, en Écosse et en Angleterre.

(Rappelons que, sur le Continent, au contraire, le grade de Chevalier Templier est précoce et ses premières mentions datent de 1749-50.)

 

Gravure de Paul Revere

La loge St Andrew de Boston est créée en 1752, elle reçoit une patente de la Grande Loge d’Écosse de 1756. Cette loge fameuse (voir l’article qui lui est consacré), qui est une loge des « ancients », restera fidèle à Grande Loge d’Écosse fort longtemps, jusqu’en 1807.

 

La première mention américaine d’un Knight Templar se trouve dans les minutes datant de 1769, de son Chapitre de Royal Arch, qu’elle avait créé.

 

L'existence de ce Knight Templar apparaît donc assez tôt dans l'univers maçonnique anglo-saxon. Le grade est lié au Royal Arch dont il constitue le faîte du système sous le terme générique de Royal Arch (Minutes) :

"At a Royal Arch Lodge, held at Masons' Hall, Boston, New England, August 28, 1769 …

The petition of Br. William Davis coming before the Lodge, begging to have and receive the Parts belonging to a Royal Arch Mason, wich being red, was received, and be unanimously voted in, and was accordingly made by receiving the four steps, - that of an Excellent, Super-Excellent, Royal Arch, and Knight Templar. " [1]

 

Si la première indication de l'existence du Chapitre St-Andrew, créée par la Loge, n'intervient qu'en août 1769, sa création devait être antérieure puisqu'il s'agit d'une réunion de réception, les officiers étaient déjà en place ; c'est la plus ancienne connue des États-Unis [2].

 

 

Notons que William James Hughan écrivit ceci dans son livre sur les origines du rite anglais (p 144):

"This minute contains the earliest known reference in the world, to the degree of a Masonic Knight Templar, and so it is of interest quite apart from its worth as a Royal Arch Record." [3]

 

Il a raison pour le monde anglo-saxon de la franc-maçonnerie. Et ceci explique bien l'idée, qu'il avançait également, sur une origine irlandaise à ce Knight Templar (pp 144-146): la possibilité d'un "Chevalier Templier" qui viendrait du Continent (via le rite de Perfection de Morin, par exemple) n'est tout simplement pas (re)connue par ces auteurs à cette époque. Ils partagent tous la même idée sur l'origine, car il en fallait bien une et elle ne pouvait être que "british" (Cameron, Crossle, Crawley, Hughan et d'autres).

Me semble-t-il, on est ici dans l' "imperialist identity" développé par Jessica Harland-Jacobs et c'est important de le souligner: "In particular, Masonic rhetoric reveals that fraternalism remained a powerful concept for imperialists in this period. [...] Conceiving of imperial relations in fraternal terms allowed dominion nationalism and imperialist identity to coexist in positive and mutually reinforcing interplay with one another." p 268) [4]

 

 

La "Green Dragon tavern": premier lieu de réunion de la St Andrew Lodge et Chapter.

 

 

Halifax inference

 

L’apparition du grade de Knight Templar à Boston serait liée aux loges régimentaires britanniques (Glittering Star Lodge n°322 -Irlandais- et British Army Lodge n°58 -Ancients-) qui se trouvaient présentes à Boston en 1769 et qui en auraient assumé la transmission.

Cependant cette présence est tardive à Boston et n'intervient pas avant 1768, ce qui peut poser question dans leur causalité à la création de ce Chapitre : 

« As these regiments arrived September 30, 1768, that would seem to be the earliest possible date for St-Andrew's Chapter and the organization date would be sometimes following the time of their arrival. That appear to narrow our research to a comparatively short period of time. » (rapport du Comité historique dirigé par EC Carver en 1953-4 [2].)

 

Frederick Smyth avance l’hypothèse de la « Halifax Inference » puisqu’il note que cette loge, la Glittering Star n°322 -29th regiment on foot-, aurait été patentée en Irlande pour ces grades complémentaires, (il n’y a pas trace de cela), pour ensuite transmettre les degrés de Royal Arch et Templar entre 1765-6 à Halifax, Nova Scotia (Canada) [5].

Cette notion d’inférence viendrait d’un courrier de Charles A Cameron [6] adressée à Philip Crossle :

« I am confident that Lodge n°322 must have worked all the R.A. and K.T. degrees when in Halifax between 1765 and the year it left for Boston ... »[7]

 

Une étude plus exhaustive de cette question a été réalisée par Michael Kaulback [8] et le tandemTurnbull-Denslow [2]. Ces auteurs constatent cependant qu’il n’y a aucun écrit supportant l’idée d’une transmission de ces grades par ces régiments à Halifax ou à Boston, cela reste une hypothèse. La première mention du grade de Knight Templar à Halifax date de 1782 [9].

Quant au rituel utilisé, Kaulback avance l’hypothèse d’une cérémonie du type de celle décrite par G Draffen (Pilgrim’s rite) [10].

 

Ce n'est que lors de la création des Encampment of Knights Templars, vers la fin du siècle (à partir de 1778), que le Knight Templar aura une vie plus autonome. Ce mouvement de création d'Encampments séparés pour pratiquer le Knight Templar, hors Royal Arch, venu d'Irlande, nous le retrouvons aussi en Irlande/Écosse à ces mêmes dates. Il y a peut-être là un effet d’entraînement.

 

Mais pour l’époque qui nous concerne, ce n’est pas encore le cas :

« We find, then, that the « Knight templar degree » was regularly conferred in St. Andrew Royal Arch Lodge, at Boston, from august 28, 1769 (and probably for some time before this) until March 4, 1795, when the Newburyport Encampment of Knights Templars was etablished ; and the clear inference seems to be, that wathever right this Royal Arch Lodge claimed to have to confer this degree, was transferred by means of a committee to this Encampment. » [11]

 

D’où viendrait ce grade de Knight Templar ? Il n'y a pas de réponse. Ce qui semble tout à fait intéressant, c'est la rencontre entre différents courants maçonniques, français et écossais dans ce cas-ci (c'est une hypothèse sérieuse):

« By whom this Templar work was introduced into Boston, we are also ignorant. But in 1764, Moses M. Hayes came to Boston with a large number of masonic degrees, commissioned by Stephen Morin, as Deputy Grand Inspector General of North America of the Scottish Rite. It is possible that he may have introduced the degrees conferred in ''St. Andrew's Royal Arch Lodge.'' For, in 1769, the Massachusetts Grand Lodge was established at Boston by Gen. Joseph Warren, under authority of the Grand Lodge of Scotland. In this Grand Lodge, Moses M. Hayes became active, - from 1788 to 1791 being its Grand MasterThese degrees were introduced into Boston soon after his arrival, and he was in possession of so many masonic degrees, it is not improbable that he had those of the Templar and Malta Orders ; ...  »  [12]

 

S'agit-il du rituel continental de Chevalier templier comme pourrait le suggérer le paragraphe précédent, ou d'un rituel de type « Pilgrim's rite ». C'est peut-être la seconde hypothèse qui serait la bonne :

« A poor pilgrim from a far country, who has regularly served in all the inferior degrees of Masonry, honorably passed the Chair, in due form, been exalted Excellent, Super-Excellent, Holy Arch Mason, and now humbly begs to be admitted to the Supreme Degree of a Knight of the Tabernacle, commonly called a Masonic Knight Templar. » (extrait de la prière d'admission, 1805) [13]

 

Notons dès lors, pour la St Andrew, de façon assez constante au XVIIIe, d’une part le lien fort entre le Royal Arch et le Knight Templar (-Pilgrim?-), et d’autre part l’indication d’une pratique du Royal Arch qui précède (1762) la création du chapitre en 1769 et n’est aucunement liée aux régiments anglais ou irlandais. Or la « Halifax inference » prend appui sur l’affirmation d’une transmission du Royal Arch pour inférer celle du Knight Templar.

Concernant le Royal Arch, ce n’est évidement pas exact.

 

Dès lors la phrase suivante, à l’inverse de l’affirmation précédente, prend tout son sens lorsque l’on sait que la St Andrew Lodge demanda déjà une constitution de Royal Arch à la Grande Loge d’Écosse en 1762 : elle ne permet aucune autre interprétation que celle qui y est contenue :

« Of the 14th, 29th and 84th Regiments in Boston, a Royal Arch Lodge was formed and worked during the years of its existince under the authority of the Charter of the Lodge of St Andrew’s S.C. » [14]

 

En conséquence, l’origine du Knight Templar pratiqué à Boston en 1769 reste une énigme.

 

D’ailleurs, c’est peut-être Boston qui permettra à ces régiments irlandais et anglais de pratiquer tant le Royal Arch que le Knight Templar !?

 

 

(NB: la summon's plate "Boston" ci-dessus est une copie de celle de Dawkins, ce qui est interpellant compte tenu de sa teneur "hauts-grades" continentaux; par contre le certificat maçonnique ainsi que la gravure de l'obélisque, montrés ici, sont de Paul Revere, franc-maçon célèbre de la St Andrew Lodge et deuxième Knight Templar connu de Boston.)

 

NB2: Notons que cet article rentre dans le cadre de l'étude concernant le templarisme namurois.)

 

 

 

Références

 

[1] The Grand Encampment of Knights Templar: and appendant orders, of Massachusetts and Rhode Island. Proceedings. Boston, 1866, p 55 (disponible sur internet) & Coil's Masonic Encyclopedia, 1961, p 343.

[2] Turnbull and Denslow. A History of Royal Arch Masonry, Tome 1, 1956, p 196.

[3] WJ Hughan. Origin of the English Rite of Freemasonry (second edition, entirely revised by the author). Leicester, 1909.

[4] Jessica Harland-Jacobs. Builders of Empire. Freemasonry and British Imperialism, 1717-1927. University of North Carolina press, 2007.

[5] F Smyth. Brethren in Chilvary. Lewis Masonic, 1991 p 91.

[6] Charles A Cameron. On the origin and the progress of Chilvaric freemasonry on the British Isles. AQC n°13, 1900, pp 84-5.

[7] RV Harris. The story of Lodge « Glittering Star » n°322 (Irish) and the beginning of Knight Templary in Canada. 1966.

[8] MS Kaulback. The first knights templar in the United States. AQC n°107, 1994, pp 224-7.

[9] J Ross Robertson. History of the Knights Templars in Canada. Ontario, 1890, p 21.

[10] GS Draffen. Pour la Foy. Éditions Winter, 1949, pp 207-211.

[11] The Grand Encampment of Knights Templar. Op. cit, p 57.

[12] Idem, p 59.

[13] Idem, p 58.

[14] EJ Bate. Glittering Star n°322, 1759-1984. p 7.

 

 

En cette période d'halloween, évitez de croiser la Baba Yaga !

Réunion des Knights Templar américains (USA) en 2016

Réunion des Knights Templar américains (USA) en 2016

Rédigé par Christophe de Brouwer

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