Les maçons templiers à Namur : les origines.
Publié le 5 Octobre 2015
Au XVIIIème siècle, tant à Boston aux USA (alors Colonie anglaise), qu'à Namur en Belgique (alors Pays-Bas autrichiens), les grades templiers furent pratiqués précocément dans des Loges relevant de la Grande Loge d'Écosse. C'est également les premières mentions d'une pratique de ces grades dans ces pays.
La belle Sambre à Namur, au fond à droite, on devine la citadelle.
Boston dans le Massachusetts ?
Le 30 novembre 1756, la Grande Loge d'Écosse délivrait une patente à la célèbre Loge St-Andrew de Boston sous le n°81 et à sa suite pour 8 autres loges dans les 13 colonies américaines primitives. Loge célèbre car notamment liée à la Tea Party (1773), amorce de la guerre d'indépendance américaine.
La Grande Loge d'Écosse avait déjà fait le pas de l'extériorisation avec la loge « Concordia Vincit Animos » à Amsterdam le 13 juillet 1755 (ou 14 avril selon la Loge). Deux autres furent plus précoces, à Copenhague (« Le Petit Nombre », en 1753) et au Liban qui aurait été la première ("Aleppo", 1747, patente de 1752 de la Canongate Kilwinning).
Namur serait, semble-t-il, la 12ème Loge hors Écosse à recevoir une patente de sa Grande Loge (1770) et probablement la 3ème hors Empire britannique, mais aussi la première en pays catholique.
Revenons à Boston. La Loge St-Andrew existait déjà quelques petites années avant de recevoir patente, tout comme Namur. Très rapidement cette Loge va pratiquer d'autres grades que les grades symboliques. Outre le Royal Arch, si cher aux anglo-saxons, elle est la première connue (du moins c'est la première mention) à pratiquer un grade/degré de Knight Templar aux États-Unis, peut-être sous la forme de ce qu'on appelle le « Pilgrim's rit » ou « rite du Pèlerin ». C'est en effet en 1769 qu'elle place ses side-degrees dans un Chapitre (St Andrew Chapter) dépendant de la Loge, dont le degré de Knight Templar. Si un apport irlandais est discuté en ce qui concerne la St-Andrew, ce n'est pas le cas pour Namur.
Namur et les grades templiers
La citadelle de Namur vue de la Meuse.
Nous trouvons des pratiques très semblables à Namur. Dans les archives de la Loge, qui reçut patente de la Grande Loge d'Écosse en 1770 sous le n°160, existe un certificat manuscrit, celui du frère Roquet, datant de 1768, qui nous suggère fortement un grade templier porté par John Cunnigham, président de la loge namuroise et maçon écossais de la Scots Brigade dont les régiments étaient tour à tour casernés à la Citadelle de Namur qui domine le confluant de la Meuse et de la Sambre. Cette Brigade fut à la base de la création namuroise. En effet, le plus vieux régiment "the Old", transportait avec lui une Loge , « Union », n°121 au tableau de la Grande Loge d'Écosse. Nous avons la confirmation certaine de la pratique de grades templiers dans la Loge de Namur en 1776 avec un autre certificat, celui de Pyman.
Le templarisme maçonnique namurois est-il d'origine écossaise ? L'histoire de la loge St-Andrew de Boston pourrait nous le suggérer, cependant les données provenant d'Écosse sont quasi inexistantes. Il est possible qu'elles furent largement détruites à l'occasion des répressions féroces qui suivirent les révoltes jacobites de 1715 et surtout celle de 1745. D'ailleurs les premières traces de templarisme maçonnique, avec certitude, pour l'Écosse, sont hors Écosse, en France avec l'Ordre Sublime des Chevaliers Élus, ordre maçonnique templier (prédécesseur du Kadosh) qui s'implanta à Edimbourgh (peut-être sans suite), tout comme à Amsterdam vers 1750. En Écosse même, il faudra attendre 1778 pour en trouver une trace contemporaine à la loge de Scoon et Perth.
De façon étonnante, on retrouve fidèlement le rituel de cet Ordre Sublime des Chevaliers Élus dans le Rite Écossais Primitif namurois sous le nom de « Grand Élu de la Vérité », placé en dernière position (29è) avant l'Ordre Intérieur.
Ce n'est donc pas impossible, mais ! Peut-être que deux courants se sont renforcés. Le courant de la maçonnerie des « Ancients », pratiquée par la Grande Loge d'Écosse, d'Irlande et de la Grande Loge anglaise des « Ancients » (de Dermott), manifestement très ouvert aux side-degrees, et la poussée de templarisme maçonnique de type Kadosh venant de Metz, et ce depuis 1760. La preuve existe de liens entre les Pays-Bas autrichiens et Metz pour la période des origines de la Loge namuroise. En effet des maçons de régiments belgo-autrichiens, stationnés à Luxembourg, furent reçus Kadosh via les « Trois Évêchés » (Toul, Verdun, Metz) et la Loraine qui devint française en 1766.
La guerre de 7 ans
La Sambre et la ville de Namur vues du haut de la citadelle.
Mais quelle est cette période ?
Nous sommes à la fin de la guerre de 7 ans (1756-1763), guerre cruelle et inutile, dévastatrice en Europe centrale avec son million de morts, femmes et enfants compris, du jamais vu pour l'époque. Nos régiments belgo-autrichiens y furent glorieux, certes, mais leurs rangs s'éclaircirent dramatiquement à plusieurs reprises. Heureusement cette guerre épargna, pour une fois, nos contrées.
Une sorte de nihilisme s'empara sans doute de ces régiments décimés pour rien, et le Kadosh/Chevalier Templier, qui représente une forme de mise en cause de l'Autorité, envahit l'espace régimentaire. C'est en effet au sortir de cette guerre, dès 1763, que la Stricte Observance allemande se répandit comme un feu de poudre, pour une vingtaine d'année, notamment via les régiments, dans tout l'espace allemand et autrichien, de même le Kadosh passa d'Allemagne en France, à Metz, en 1760 pour s'étendre ensuite sur la France.
Namur, enfant de la guerre de 7 ans, est touchée des deux côtés par le templarisme maçonnique.
La Loge de Namur fut donc créée à la sortie de la guerre de 7 ans, vers 1763-64, par des officiers écossais, et le premier d'entre eux, le capitaine John Cunningham, membre de la Loge régimentaire, "Union", n°121, de la Grande Loge d'Écosse, attachée à l'un des trois régiments (the Old) de la Scots Brigade au service des « Hautes Puissances » (Provinces Unies). Ce n'est que le 5 février 1770 qu'elle reçut ses patentes de constitution de la Grande Loge d'Écosse, sous le n°160. Elle portait à ce moment le nom de « Parfaite Union ». Dès les débuts, la Loge namuroise s'est construite un système maçonnique original centré sur le templarisme maçonnique, qui sera consacré début du XIXème comme le Rite Écossais Primitif, dit de Namur.
La Loge, au moment de ses débuts, pratiquait un rituel des « ancients », fait unique dans les Pays-Bas autrichiens, avec par exemple le 2nd surveillant placé au milieu de la colonne du midi.
Mais elle pratiquait bien d'autres grades. Nous retrouvons pour la période antérieure à 1777, les grades d'Élus, d'Architectes, de la Voûte, de Rose-Croix, de Chevalier de l'Aigle noir, de Kadosh, et forcément aussi de Novice et Chevalier templier dans le cadre de son Ordre Intérieur de Stricte Observance sur base d'une charte constitutive apparemment reçue le 4 juin 1776 (et perdue), si l'on croit les dire de deux contemporains, initiés à la même époque (entre 1774 et 1775) à la Loge de Namur, Charles-Henri Serome et Charles-Alexandre de Gavre (le 3ème prince de Gavre).
Ensuite, elle passa sous l'autorité de la Grande Loge provinciale (anglaise, les « moderns ») des Pays-Bas autrichiens en 1777, avec changement du nom de la Loge en « La Bonne Amitié ». Quelques concessions furent à l'ordre du jour. Le mémoire attribué à Maloteau, datant de 1776, montre qu'il fallut modifier les mots (probablement l'inversion de Boaz et Jackin), ainsi que la place des surveillants, avec le glissement du second surveillant, du midi vers le nord-ouest.
La Loge-Chapitre
La citadelle au confluant de la Sambre et de la Meuse.
Manifestement, la Loge namuroise continua à pratiquer ses propres « hauts-grades » : c'était, comme souvent à cette époque, une Loge-Chapitre.
L'originalité du projet maçonnique de cette Loge-Chapitre sera de porter à la fois la tradition germano-autrichienne de Chevalier Templier (désigné sous le terme de "Chevalier de l'Intérieur du Temple") avec son Ordre Intérieur de Stricte Observance placé au faîte de son Rite (d'où le nom actuel du Chapitre namurois de l' « Intérieur du Temple », une survivance des temps anciens ) et la tradition française avec ses grades Kadosh, sur un fond authentiquement écossais dont on trouve encore aujourd'hui traces dans le rituel de son premier grade. Tout cela se passa avant 1777.
Sur la Sambre de moire, on voit danser un feu
tombé d'un lumignon de bretèche branlante.
On entend des enfants crier parmi leur jeu,
Et dans la ville ancienne, aux toits si rapprochés
Qu'au-dessus des chemins ils semblent s'accrocher,
Un accordéon geint une chanson dolente.
(François Bovesse (1890-1944) fut membre de la Loge namuroise.
Extrait de "Saint-Jean", dans "La douceur mosane", 1938 )
Références
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Christophe de Brouwer. Les 250 ans du Rite Écossais Primitif, dit de Namur. Renaissance Traditionnelle. 1ère partie : n° 172, 2013 ; 2d partie : 173-174, 2014.
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George Draffen. Pour la Foy. Dundee, 1949.
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Alain Bernheim. La Stricte Observance. Acta Macionica, 1998, n°8, pp 67-97. http://www.ordo-ab-chao.org/ordo/Docs/stricte-observance.pdf
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Philippe Lestienne. Réponse «au courrier des lecteurs». Renaissance traditionnelle n°114, 1998, pp 153-55.
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George Draffen. Scottish masonic records 1736-1950. Grand Lodge of Scotland, 1950.
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Christophe de Brouwer. Sur les traces des écossais de XVIIIème dans le rituel de 1er grade à l'antique loge de Namur. Trigonum Coronatum. Annales n°22, 2014.