Les Stuarts ?

Publié le 2 Avril 2016

Les Stuarts ?

 

Il y a un malentendu dans notre compréhension du rôle de cette famille, dont l'histoire, indéniablement, possède des liens forts avec la France.

 

En France, Stuart désigne souvent jacobite catholique ... ?

 

En Grande-Bretagne, c'est très différent. Les Stuarts, depuis Jacques VI (ou Jacques I d'Angleterre), le fils de Marie Stuart, sont protestants, sauf Jacques II qui "perdra trois royaumes pour une messe" (mots attribués à Le Tellier, archevêque de Reims, lors de la réception de Jacques II par Louis XIV)

 

1/ Jacques VI a un règne particulièrement long : de 1567 en Écosse et de 1603 en Angleterre, jusqu'en 1625. C'est sous son règne que nous avons les Statuts maçonniques Schaw, écrit par son Master of Work to the Crown of Scotland.

 

2/ Charles Ier, son fils, est bien évidemment protestant, il sera néanmoins tranché, (comme sa grand-mère Marie Stuart), en 1649. Ce sont les années « Cromwell » (1645-58).

 

 

3/ Charles II, probablement un grand roi (le « Merry Monarch »), bien que ce fut un règne difficile (de 1660 à 1685), est d'abord presbytérien, pour devenir anglican.

 

C'est sous le règne et la protection personnelle de Charles II que la « Royal Society » voit le jour en 1660.

C'est également sous son règne que nous avons l'épidémie de peste à Londres (1665), suivi de l'incendie de Londres (1666). Christopher Wren, qu'il protège, sera chargé de la reconstruction de Londres et de sa cathédrale de Saint-Paul. Événement probablement essentiel dans l'apparition d'une franc-maçonnerie spéculative à Londres (P Mereaux, 1995).

Ceci trouve sa place dans un contexte plus général de l'enlightment anglais: "It is no longer possible, give what we now know about the social relations of English science, to divorce eighteenth-century culture from its seventeenth-century origins." (Margareth C Jabob, 2006, p x)

 

Mais Charles II n'a pas de descendance légitime, et lorsqu'il meurt en 1685, c'est son frère Jacques II, effectivement un catholique, qui prend la succession.

 

Si la femme de Charles II, Catherine de Bragance, ne lui donna aucune descendance légitime vivante, Charles II eut de nombreuses maîtresses et une tout aussi nombreuse descendance illégitime reconnue: 8 fils et 7 filles (7 fils atteindront l'âge adulte, et 4 de ceux-ci auront une descendance jusqu'à aujourd'hui). Charles II donna volontiers à ses sept fils, le cas échéant, des noms de branche familiale Stuart éteintes: Crofts/Scott, Beauclerk, Lennox, les trois frères Fitzroy dont un aura une descendance, Tudor, et Charles Fitz-Charles qui n'aura pas de descendance (fils de Catherine Pegge). (Beauclerck & Powell, 2008)

 

Charles II prenait grand soin de ses nombreux enfants, qu'il aimait à sa façon. Il les établira dans la haute société de Grande-Bretagne de l'époque, avec succès. C'est probablement du jamais vu en Europe, ni avant, ni après, tant le nombre et la qualité sociétale de ces "illégitimes" sont impressionnantes. On assiste littéralement à un renouvellement de la "classe qui compte" du nouveau pays dont les "illégitimes" sont un des moyens.

Ils sont, la plupart, partie prenante de la modernité de leur époque. Un bel exemple est la fille aînée du 2e duc de Richmond & Lennox, Caroline, qui s'enfuit pour se marier quasi clandestinement, contre l'avis de ses parents, avec Henri Fox. Brouille temporaire. Ce fut un mariage heureux. Henri Fox deviendra un homme politique whig de premier plan, et plus encore leur fils Charles-James (notons les prénoms "Stuart"), qui deviendra un politicien whig de grand renom, encore aujourd'hui cité, et qui représenta la modernité politique la plus avancée de son époque.

Et on peut constater aujourd'hui, 350 ans plus tard, que, non seulement, quatre branches mâles sont toujours étonnamment vigoureuses, mais que la noblesse anglaise est largement descendante des deux derniers rois Stuart.
 

 

a/ Les Lennox

 
Louise de Keroualle

Parmi sa descendance masculine, nous trouverons la decendance du dernier des illégitimes mâles reconnus, les Lennox, ducs de Richmond, si importants pour les débuts de la franc-maçonnerie, tant en Angleterre, qu'en France, qu'au Pays-Bas.

Le 1er duc de Richmond aurait été accepté maçon à Chichester avant ou en 1696 (Knoop, Jones, Hamer, 1978, p 37.)

Il est le fils de la belle Louise de Kéroualle (1649-1734), qui deviendra duchesse, en Angleterre de Portsmouth, et en France d'Aubigny (une ancienne terre "Stuart"). Celle-ci eut une influence très réelle, et manifestement importante, sur les bonnes relations entre Louis XIV et Charles II.

Pour l'anecdote, cette femme, la "bonne dame d'Aubigny", qui sous les surnoms de "fubby" ou de "baby face" devait être redoutable, se désespérait de voir son unique petit-fils n'avoir que des filles et le pressait, à travers ses lettres à l'orthographe curieuse, à remplir sans relâche ses devoirs auprès de son épouse. Elle ne connaîtra pas le 3e duc de Richmond (et 3e duc d'Aubigny) qui naîtra l'année suivant son décès. Sa devise était: "En la rose je fleuris". C'est devenu celle des ducs de Richmond.

 

Charles Lennox, deuxième duc de Richmond (1701-1750), que sa grand-mère Kéroualle chérissait, et c'était réciproque, viendra chaque année la voir en France (à Paris, à Aubigny où elle vivra de longues années), le cas échéant avec sa famille (ses filles Caroline et Emily évoquent le souvenir vivant de leur arrière grand-mère dans leurs courriers).

Son mariage imposé avec Sarah Cadogan, pour payer les dettes contractées par son père, fut heureux.

Notons que les "soeurs Lennox", ses filles (Caroline, Emily, Cecilia, Sarah), des parfaites bilingues dévorant Voltaire, surtout Rousseau, et d'autres auteurs des Lumières, furent célèbres pour leur époque. Caroline fit un mariage hors norme, voir plus haut. Une autre d'entre elles, Emily, se réfugia quelques années au château d'Aubigny, de 1776 à 1779 (accueilli par le 3e duc de Richmond, son frère, en personne), après avoir épousé son amant, le précepteur de ses enfants, à la mort de son mari, premier pair d'Irlande. Le scandale fut à la mesure des personnages. Un de ses fils fut un martyr de la cause irlandaise. Une autre soeur, Cecilia, qui avait épousé la première fortune d'Irlande, finança dans sa région les premières écoles ouvertes à la fois, bien sûr aux protestants, mais également aux catholiques, en fin de siècle.

Richmond deviendra très riche grâce aux mines de charbon dont il tirait une grande partie de ses revenus, cadeau de Charles II. Sa vie sociale fut brillante et sa vie politique assez terne. Soulignons cependant que, parmi ses différents titres et activités, chose rarement soulevée, Charles Lennox fut l'ambassadeur de son pays en France en 1748-49, c'est-à-dire à un moment clé de l'histoire européenne, puisque c'est la fin de la guerre de succession d'Autriche avec le traité d'Aix-La-Chapelle d'octobre 1748 (Antti Matikkala, 2008, p 145).

La Richmond's House, reconstruite en 1730 à Londres, se trouve à Whitehall, quasi attenante à l'ancien Palais royal (qui brûle en 1698 ; on construisit Buckingham Palace, à proximité immédiate, pour prendre la suite), avec une superbe vue sur la Tamise. C'était devenu un lieu de rencontre de ceux se rendant à Westminster (également à Whitehall), et notamment des parlementaires (Stella Tillyard, 1998).   Autre curiosité, ses chasses étaient réputées être les plus belles d'Angleterre, ce qui permet d'imaginer l'importance de son réseau d'amis! (C Revaugier, 2013)

 

Vue sur la Tamise depuis la Richmond's House, peint par Canaletto en 1747.

 

 

 

Les Loges "the Horn" & d' "Aubigny".

Le 2e duc de Richmond fut un proche de Jean-Théophile Desaguliers et de Martin Folkes. Le 2d duc de Montagu, dont le beau-père est le célèbre duc de Marlborough, est son ami intime. Il fut, comme celui-là, Grand Maître de la Grande Loge d'Angleterre en 1724 (il suit Phillipe, duc de Wharton) et Martin Folkes était son député Grand Maître.

Le 2e duc de Grafton (voir plus loin), Andrew Ramsay et Montesquieu seront initiés en 1730 dans "sa" Loge "The Horn" à Londres, qu'on appelait d'ailleurs la "Richmond's Horn tavern lodge" (auparavant, elle se réunissait à la taverne "The Rummer and Graps").

Le 2d duc de Montagu en faisait partie, ainsi que George Payne, Desaguliers, Folkes, James Hamilton -Lord Paisley- qui suivra Richmond dans la Grande Maîtrise, son cousin germain Henri Scott -2e fils du duc de Monmouth-, Lord James Waldegrave -un autre cousin, petit-fils de Jacques II-, Philip Stanhope -4th earl of Chesterfield-, ... Desaguliers et Stanhope (à ce moment ambassadeur à La Haye) furent de la réception du duc de Lorraine en 1731 à La Haye.

C'est une des 4 Loges constitutives, dont il sera à plusieurs reprises le Maître en chaire (sauf durant sa Grande Maîtrise). C'était la loge la plus nombreuse (jusqu'à 73 membres), elle eut la plus grande influence dans les débuts de la maçonnerie spéculative. Le duc de Richmond est également à la création de la Loge d'Aubigny, une des toutes premières de France (il deviendra duc d'Aubigny au décès de sa grand-mère). (Voir R Berman. 2012 & , 2014.)

La Horn cèdera sa prééminence au sein de la Grande Loge dans les années 1730 au profit de la " (Old) King's Arms Lodge" sur le strand ; elle perdra même, durant un temps, sa reconnaissance par la Grande Loge, ce qui ne la gêna pas beaucoup compte tenu de la qualité de ses membres (R Berman, 2014).

 

Peut-être que sa grand-mère, Louise de Kéroualle, "battait maillet en bonne compagnie", comme l'avance Gustave Bord ( 1908, p 154) ?

Toujours est-il que le petit-fils utilisait son hôtel de Paris et son chateau d'Aubigny pour des réunions maçonniques: "Saint James Evening Post" du 7 septembre 1734: "We hear from Paris that a Lodge of Free and Accepted Masons was lately held there at her Grace the Duchesse of Portsmouth's house, where his Grace the Duke of Richmond, assisted by another English nobleman of distinction there, President Montesquieu, Brigadier Churchill, Ed. Yonge and Walter Strickland, Esq., admitted several persons of distinction, into that most Ancient and Honourable Society." (Gould, 1904.)

A cette réunion, furent notamment admis le fils de Montesquieu et un autre Stuart: le général Charles Skelton, fils d'Anne Lennard, née Fitzroy (donc petite-fille de Charles II et de Barbara Palmer, née Villiers ( R Berman, 2012).

 

Autre réunion d'une loge en 1735, rue Bussy (selon H-F Marcy, ce pourrait être celle d'Aubigny).

Voici la relation de cette réunion, provoquée également par le duc de Richmond, donc deux Stuarts présent, (Richmond, Waldegrave) et un beau-frère de Richmond (lord Dursley, époux de Louisa Lennox, il s'éteindra au château d'Aubigny en 1736), pour recevoir un troisième Stuart, le fils de Waldegrave: "Saint James Evening Post", le 18-20 septembre 1735 (je remercie ici Pierre Noël de ses précisions concernant cette réunion):

" They write from Paris that his Grace the Duke of Richmond, and the Rev. Dr. Desaguliers (formerly Grand Masters of the Antient and Honourable Society of Free and Accepted Masons and now authoris'd by the present Grand Master under his Hand and Seal, and the Seal of the Order having call'd a Lodge at the Hôtel Bussy in the Rue Bussy, his Excellency the Earl of Waldegrave, his Majesty's Ambassador to the French King, the Rt Hon the President Monstequiou, the Marquis of Lomaria, Lord Dursley, son of the earl of Berkly, the Hon. Mr. Fitz-Williams, Messieurs Knight, father and son, Dr. Hickman, and several other Persons, both French and English were present, and the following Noblemen and Gentlemen were admitted into the Order, namely His Grace the Duke of Kingston, the Right Hon. the Count de St Florentin, Secretary of State to his most Christian Majesty, the Right Hon. the Lord Chewton, son to Earl of Waldegrave, Mr. Pelhman, Mr. Armiger, Mr. Colton and Mr. Clement, after which the new brethren gave a Handsome Entertainment to all the Compagny." (AT Carpenter. John Theophilus Desaguliers. 2011; R Berman, 2012)

Il existe plusieurs traductions françaises de ce texte, aucune ne me semble totalement satisfaisante. La plus fidèle m'apparaît être celle de GH Luquet (1963), la plus éloignée semble être celle de Faucher&Ricker (2008) qui citèrent un personnage de plus dans la relation, à savoir "Derwentwater", ce qui aurait introduit un quatrième Stuart!

Le 2ème Duc of Kingston upon Hull, un passionné de cricket, comme son ami Richmond, est celui par qui serait venu la divulgation de la "Carton" publiée par le lieutenant de police Herault en 1737 (Charles Porset, pp 47-56).

 

Blason des ducs de Richmond

 

 

b/ Charles Radclyffe, 5ème earl of Derwentwater, était également un petit-fils de Charles II, par sa mère, Mary Tudor, la dernière des illégitimes de Charles II. Sa grand-mère, Moll (Mary Davies) était actrice. C'est Jacques II qui arrangea le mariage de Mary Tudor avec le 2e earl of Derwentwater. Charles sera Grand Maître de la Société des Francs-Maçons dans le Royaume de France (1736-8) avant la venue du Duc d'Antin, qui, lui, fut initié dans la Loge d'Aubigny, donc de Richmond. On reste entre cousin germain !

 

 

 

4/ Jacques II qui suit, s'était converti au catholicisme durant son séjour en France. Arrivé sur le trône en 1685, il sera chassé 3 ans plus tard par son neveu Guillaume : c'est la « glorieuse révolution » de 1688.

Il eut un fils et deux petits-fils dans la ligne légitime. La contribution effective du petit-fils aîné de Jacques II, Bonie Prince Charlie, est sujette à controverse, c'est peu clair, sinon en fin de vie (P Mollier, 2015). On ne connait aucune activité maçonnique au deuxième petit-fils, Henry-Benedict, cardinal-duc d'York.

Pour l'anecdote, les "soeurs Lennox" appelait Bonnie Prince Charlie, "notre cousin", dans les courriers qu'elles s'échangeaient (Stella Tillyard, 1998, p 58).

 

 

c/ Les Fitz-James

Avec Arabella Churchill, soeur du Duc de Marlborough, Jacques II eut deux fils illégitimes dont un donna la lignée des Fitz-James, duc de Berwick upon Tweed, ainsi que deux filles. Le 1er duc de Berwick, Jacques Fitz-James, fut un brillant militaire au service de la France, Grand d'Espagne (1704), chevalier de la Toison d'Or (Espagne, 1704), maréchal de France (1706), duc et pair en 1710, vainqueur des Autrichiens et des Anglais. Il entretiendra une conversation épistolaire affectueuse avec son oncle durant de longues années. La lignée aura une réelle importance en France et en Espagne. Elle s'est éteinte au XXème siècle.

Le 2e duc de Berwick, Charles Fitz-James, fils du 1er, fut également un excellent militaire au service de la France. Il fut un des premiers membres de la Loge de Bussy, dès 1735. Son fils, James-Charles, deviendra proche de Montmorency-Luxembourg, dont il sera Grand Expert de sa Loge personnelle.

 

Blason des ducs de Berwick

 

 

d/ Les Waldegrave

Jacques II eut également deux filles d'Arabella Churchill dont une, Henrietta Fitz-James, épousa Henry Waldegrave. Son fils James Waldegrave, 1st earl Waldegrave nous est bien connu. Nous venons de le rencontrer avec son cousin par alliance, Lord Dursley, à la réunion de la rue Bussy en 1735, à l'invitation d'un autre cousin Stuart, Charles Lennox, 2e duc de Richmond. Il fit d'ailleurs partie de la "Horn" durant au moins 12 ans. C'est lui qui amena son grand ami Montesquieu à y être reçu en 1730.  Il eut une brillante carrière de diplomate, représentant son pays à Vienne et à Paris. Ses activités maçonniques furent intenses là où il se trouvait (R Berman, 2012).

 

 

e/ Les Crofts/Scott

Durant son court règne, Jacques II fit exécuter le fils aîné de son frère Charles II (le préféré des illégitimes), le duc de Monmouth et de Buccleuch (sa mère est Lucy Walter), en 1685, qui lui contestait le trône parce que catholique (Monmouth rebellion), mais il protégea sa famille.

 

Les Scott, ducs de Buccleuch, comte de Dalkeith, sont donc des descendants directs, les aînés des illégitimes par les mâles, de Charles II.  Nous avons déjà rencontré Henri Scott, earl of Deloraine, à la "Horn".

Quant à Francis Scott, lord Dalkeith, futur duc de Buccleuch, un petit-fils du duc de Monmouth, il fut Grand Maître de la Grande Loge de Londres (1723-24). Il succédait à Philip Wharton (1723). Lui-même sera suivi par son cousin Charles Lennox, 2e duc de Richmond (1724-25).

Nous les retrouverons, par exemple, l'un avec l'autre lors de la réunion (> 300 membres présents) de la Grande Loge, tenue à la Devil Tavern near Temple Bar Lodge, le 31 mars 1735 ("Pennsylvania Gazette", repris dans AT Carpenter, 2011, pp 98-99.)

Donc deux Stuarts de la descendance mâle aux avant-postes de la maçonnerie spéculative naissante !

 

Blason des ducs de Monmouth et de Buccleuch

 

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Un petit détour par les deux ducs de Montagu semble intéressant. Le 1er duc fut très proche du 1er duc de Monmouth et de sa "rebellion". Lui aussi eut de nombreuses maîtresses dont Barbara Palmer née Villiers (celle de Charles II, qui sera aussi la maîtresse du duc de Marlborough) et sa fille Anne Lennard-Fitzroy, également fille de Charles II. Son fils, le 2d duc de Montagu épousa la fille du duc de Marlborough, Mary, ce qui faisait de lui le cousin des Fitz-James. Le 3e duc de Buccleuch, deviendra également duc de Montagu par succession par les femmes, la branche mâle étant éteinte! Les deux premiers ducs de Montagu (qui n'eurent pas de postérité masculine), furent apparemment très proches des "Stuarts" !

 

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f/ Les Beauclerck

Aux bains de la ville de Bath, lieu de villégiature de la noblesse anglaise, nous retrouvons une autre branche illégitime, par les mâles, de Charles II : les Beauclerk, ducs de Saint-Albans dont le 1er duc était maître de Loge là-bas ("Queen's Head Lodge").  Il y décèdera en 1726. C'était un proche de Guillaume III et de George I. Sa loge, brillante, avait été installée par Désaguliers en 1723, elle serait la première en province. Le 11 mai 1724, il y eut une éclipse totale du soleil qui était la mieux visible dans l'ouest de l'Angleterre. Bath fut le lieu de rendez-vous, et le duc de St Albans reçut avec magnificence dans sa loge et initia ce jour là !  (AT Carpenter, 2011, p 102.) Sa mère est Nell Gwin, la concurrente de Louise de Kéroualle qu'elle a du partager. Les St-Albans sont actifs dans la nouvelle franc-maçonnerie.

 

Blason des ducs de Saint-Albans

 

 

g/ Les Fitzroy

La branche Stuart issue de Charles II, last but not least!, qui n'a pas encore été citée, sont les Fitzroy, descendant de Barbara Palmer née Villiers, devenue duchesse de Cleveland. Ils sont très présents dans la maçonnerie, politiquement de tous bords! Nous avons l'exemple de George Lee, earl of Lichfield, fils de Charlotte Fitzroy (la préférée de Charles II), membre de la Queen's Head Lodge de Bath (de son cousin St Albans). Il aurait aidé son cousin Charles Radcliffe à s'échapper de la prison de Newgate en 1716. Ce dernier n'échappera cependant pas au boureau en 1746. Nous avons également rencontré le général Skelton, fils d'Anne Lennard-Fitzroy.

Les Fitzroy, ducs de Grafton sont issus du deuxième fils de Barbara Palmer née Villiers. Le 2e duc de Grafton fut reçu en février 1730 par son cousin germain, Charles Lennox, à la Horn Tavern Lodge, alors que ce dernier était encore maître en chaire de la loge. Les deux compères vont accompagner le duc de Lorraine durant son séjour londonnien d'octobre-décembre 1731, qu'il fit après son initiation à La Haye en mai-juin de cette année-là (AQC n°37, 1924). Ils s'étaient également fait accompagner par Willem van Keppel, 2e earl of Albemarle (famille d'origine hollandaise venue avec Guillaume III), qui était le beau-frère du 2ème duc de Richmond (époux d'Anne Lennox, une intime des "soeurs Lennox").

Le 3e duc de Grafton sera premier ministre de Grande Bretagne entre 1768-70.

 

Blason des ducs de Grafton

 

 

Un autre exemple étonnant de ces relations familiales entre cousins Stuarts illégitimes, est la réception, en 1687, durant le court règne de Jacques II, de son autre fils illégitime issu d'Arabella Churchill, Henri Fitz-James, duc d'Albemarle, par les chevaliers de Malte (à Malte): il y était accompagné par le 1er duc de Grafton (Antti Matikkala, 2008, p 234). Cet exemple sort du cadre de l'article, mais remarquons cependant que les ordres de Chevalerie réactivés (de la Jarretière, du Chardon, du Bain -dont le 2e duc de Montagu est le 1er grand-maître de 1725 à 1749-, ...) sont des lieux où les cousins Stuarts se rencontrent.
 

 

5/ Guillaume III. Ensuite nous avons le règne conjoint de Guillaume d'Orange de 1689 à 1702, un calviniste, et de sa femme Marie II Stuart, une fille de Jacques II, mais protestante. Il s'appuie sur les "whigs", pour imposer un nouvel ordre dans le royaume, en ce compris sur le plan moral. Et par exemple, Louise de Kéroualle perdra tous ses revenus anglais, mais la France de Louis XIV, puis du Régent, ne l'oubliera pas.

 

D'un autre côté, trop toucher à la famille de sa femme (et la sienne: il est le fils de la soeur ainée de Charles II et de Jacques II) pouvait être politiquement dangereux tant les liens sociétaux et économiques tissés dans la société britannique par les descendants de Charles II sont larges et importants.

 

Car c'est effectivement une période révolutionnaire, probablement déterminante pour la future franc-maçonnerie et le siècle des Lumières à venir. Parce qu'elle transforme la monarchique de droit divin en une monarchie sécularisée, voie socio-politique novatrice, à la suite des mouvements philosophico-scientifiques ouverts par Descartes, Locke et Newton.

 

 

6/ Anne. Le dernier Stuart sur le trône est la reine Anne, une autre fille de Jacques II, elle est anglicane et règne de 1702 à 1714: c'est donc sous un règne Stuart que l'union de l'Écosse à l'Angleterre est réalisée en 1707, beau paradoxe.

Règne également important pour la future Franc-maçonnerie, car en contre-point de la période précédente. Les tories viennent au pouvoir (ils remplacent les whigs, qui, eux, reviendront avec les Hanovre) : c'est une période très "libérale", proche de la dynastie des Stuarts, avec Henry Bolingbroke (qui se réfugia ensuite à Paris et fit partie du fameux club de l'Entresol), et la création de la « Société des Antiquaires de Londres », décembre 1707 (une quasi filiale de la Royal Society).

 

7/ Les rois « Hanovre » ne viennent qu'après la reine Anne Stuart. George I, qui ne parlait pas anglais, sera très peu présent en Grande Bretagne, préférant les affaires de son Hanovre. C'est un cousin éloigné Stuart, descendant de Jacques VI-I.

C'est au début de ce règne que deux sociétés très semblables voient le jour : la Grande Loge de Londres et de Westminster en juin 1717, puis, la même année en septembre, l'Ordre des Druides dont le but était assez semblable, c'est-à-dire rassembler les « Bosquets » (sorte de loges locales) sous une organe commun. John Toland en sera le premier président. L'ordre fera de la recherche archéologie et géologique tout-à-fait intéressante. Nous retrouverons des mêmes membres dans l'une et l'autre organisations, comme William Stukeley.

 

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Petite histoire: quasi toutes les grandes famille de Grande Bretagne sont descendantes de Charles II, et/ou de Jacques II via Henrietta Fitz-James. (La famille royale actuelle trouve des racines Stuarts, elle qui est pourtant restée, par ses alliances, au cours des trois derniers siècles, "très allemande", non seulement via les Hanovre, mais aussi via la reine-mère (Mom) Elisabeth, née Bowes-Lyon, également descendante de Jacques VI-I  )
L'exemple est pertinent: lorsque William, fils de Diana, montera sur le trône de Grande Bretagne, ce sera un descendant de Charles II qui vient sur le trône, par sa mère, via les Richmond et les Grafton, et aussi de Jacques II via Henrietta Fitz-James! En fait, c'est la deuxième fois qu'une alliance de la famille royale anglaise de la succession directe se réalise dans le vivier de la noblesse anglaise : les "chances" de tomber sur un(e) descendante de Charles II était dès lors vraiment très grandes ! (Il en est de même pour Sarah Fergusson ou Camilla Shand)

 

 

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Le Jacobitisme écossais.

 

Le Jacobitisme (ou Jacobisme?) en Écosse n'est pas catholique, parce ce qu'il n'y a quasiment plus de catholique. Il en va de même en Angleterre.

 

C'est un mouvement nationaliste en réaction à l'union de 1707.

 

Notre vision d'aujourd'hui, est une vision romantique déformée de cette époque, et l'épopée de Bonnie Prince Charlie, petit-fils de Jaques II et dernier héritier légitime de cette lignée, et surtout sa fuite rocambolesque suite à la défaite de Culloden de 1746, ajoute au tableau. Nous oublions que Culloden fut suivi d'une répression atroce par le Butcher Cumberland, deuxième fils de George II. L'Écosse politique s'est éteinte à ce moment. Cependant cette boucherie fut suivie d'un enlightment écossais remarquable avec David Hume, Adam Smith, Robert Burns pour ne citer que les trois plus connus, mais il y en eu beaucoup d'autre, très remarquables également.

 

Sur le plan religieux, le mouvement jacobite écossais fut d'abord épiscopalien, branche dont l'origine est composite, à la fois presbytérienne et anglicane, brimée par le roi Guillaume d'Orange. Celui-ci était un calviniste convaincu (presbytérien). Il avait épousée Marie Stuart (Marie II), sœur de Anne qui vient après.

 

L'épiscopalisme écossais serait né, en quelque sorte, avec les 5 points de Perth de 1621 (tentative d'anglicanisation du presbytérianisme), lorsque le Roi Jacques VI d'Écosse (ou Jacques I d'Angleterre) voulut imposer une hiérarchie à l'Église presbytérienne, dont il serait le sommet (comme l'anglicanisme). L'opposition à cette anglicanisation sera forte, menant à la guerre des évêques de 1639.  L'épiscopalisme écossais va s'éloigner petit à petit de la doctrine calviniste, pour se rapprocher de l'anglicanisme, beaucoup plus arminienne (refus de la prédestination calviniste). (Duchain, pp 348-365)

 

 

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Discussion

 

Le Jacobitisme (ou Jacobisme ?) fut un mouvement politique disparate bien réel, trouvant, pour des raisons différentes, des appuis dynastiques (Bolinbroke par exemple, à la mort de la reine Anne), des appuis nationalistes en Écosse qui venait de perdre son identité, religieux avec les épiscopaliens, extérieurs, essentiellement en France par opportunité politique, ...

 

Par contre, qu'il y eut une maçonnerie jacobite spécifique en France, rien ne l'indique, au contraire. Les opposants politiques se seront reçus maçons mutuellement, et quelque part, c'est un peu le but de la maçonnerie. La maçonnerie française pratiqua et pratique encore celle de Londres de la première époque. Et c'est bien compréhensible avec des personnalités anglaises qui vinrent « partager leur nouvelle passion », tels les Derwentwater, Richmond ou Waldegrave. Opposés dans la politique civile, ces trois cousins Stuarts se sont retrouvés dans les Loges et furent des acteurs majeurs de la franc-maçonnerie naissante en Angleterre et sur le Continent.

 

On peut affirmer que la maçonnerie des « modernes », qui nous vient de la première Grande Loge de Londres et de Westminster, doit beaucoup à la famille Stuart ; en quelque sorte, c'est un peu son enfant "illégitime" !!!

 

Même si l'attribution est sans doute exagérée, dès l'arrivée du 2d duc de Montagu comme Grand-Maître, apparaît une maçonnerie où manifestement les "illégitimes" Stuarts, de tous bords, s'y meuvent avec aisance. Ils y sont nombreux, se retrouvent au-delà de leur positionnement politique qui n'est nullement clivé selon l'ascendance (l'exemple de Fitz-James et Waldegrave est saisissant), seul semble compter un singulier lien de sang et sans doute une certaine entraide ? Dans ce cercle particulier, y gravitent deux "nouvelles" grandes familles, familialement liées, celles des ducs de Montagu et celles des ducs de Marlborough. En ce sens, on peut suivre R Berman dans son opinion que le franc-maçonnerie anglaise naissante représente une cohérence rationaliste et une aspiration sociale et politique "whig" (hanovrien) (Ric Berman: Prestonian lecture: 2015), la légende de ses origines en 1717 n'étant probablement qu'une légende de circonstance (Andrew Prescott, 2016).

 

Quant aux « Ancients », ils apparaissent progressivement en Irlande et en Écosse protestantes, mais surtout protestant contre l'exploitation éhontée de leurs pays par les anglais. Après avoir fait des émules en Angleterre, ils vont imposer tout aussi progressivement leur manière de faire la maçonnerie, en Grande Bretagne, puis dans le monde, sauf en France et quelques autres pays ! Cela n'a donc pas grand chose à voir avec les Stuarts, sinon l'image d'une maçonnerie aux moeurs souvent dissolues, mais ceci est une autre longue histoire.

 

Les Hauts-grades écossais ? C'est une construction lente, dont les premières traces (1733) se trouvent en Angleterre, à la Devil Tavern near Temple Bar de Londres (voir plus haut: ce n'est pas un lieu anodin pour la franc-maçonnerie naissante) où maçonna par exemple le duc de Loraine en décembre 1731, lors de son séjour londonien (AQC n°37, 1924, p 121), puis en 1735 aux bains de Bath, lieu de rencontres et de plaisirs de la haute noblesse anglaise, à la Loge at the "Bear". Cette Loge avait pris le relais depuis 1733 de l'ancienne loge de St-Albans qui arrêta ses travaux en 1736. Desaguliers la visita plus d'une fois; par exemple en 1738, après avoir subi l'attaque de détrousseurs de grand-chemin ("highwayman"), il y fut accompagné probablement par Frederick, prince de Galles, dont il était l'hôte (AT Carpenter, 2011, pp 102-103).

Ces premiers hauts-grades se répandirent assez vite, prirent des couleurs différentes et variées, tributaires de plusieurs parties de l'Europe : cela foisonnait, une véritable œuvre commune européenne dans la dispersion ! Mais cela aussi, c'est une longue histoire :-)

 

Cet article est susceptible de modifications, tant les entrelacements de la famille Stuart "illégitime" sont fréquents et inattendus.

 

 

Références

  • P Mereaux. Les constitutions d'Anderson. Éditions du Rocher, 1995.
  • Beauclerck & Powell. Royal Bastards. History Press, 2008.
  • M. C. Jacob. The radical Enlightment. Pantheists, Freemasons and Republicans. Second revised Edition. First Cornestone Edition, 2006.
  • Knoop, Jones, Hamer. Early Masonic Pamphlets. AQC 1978.
  • J Raguénès. Lady Louise. Éditions JC Lattès, 2006
  • Antti Matikkala. The Orders of Kinghthood and the formation of the british honours system 1660-1760. Boydell Press, 2008.
  • C Revaugier. "Richmond" In Le monde maçonnique des Lumières. Dictionnaire prosopographique. Éditions Honoré Champion, 2013.
  • P Mollier. Les Stuarts et la Franc-maçonnerie: le dernier épisode. Renaissance Traditionnelle, n° 177-8, 2015.
  • R Berman. The Foundations of Modern Freemasonry. Sussex Academy Press, 2012.
  • R Berman. Schism: The Battle That Forged Freemasonry. Sussex Academic Press, 2014.
  • Gustave Bord. La Franc-maçonnerie en France. 1908.
  • RF Gould. "Freemasonry in France" in The history of freemasonry. 1904.
  • AT Carpenter. John Theophilus Desaguliers. Éditions Continuum, 2011.
  • A Bernheim. Did écossais (early high) degrees originate in France ? 2008
  • GW Daynes. The Duke of Lorraine and English freemasonry in 1731. Ars Quatuor Coronatorum n°37, 1924, pp 107-132.
  • C Porset. Les premiers pas de la franc-maçonnerie en France au XVIIIème siècle. "Le Secret". Edimaf, 2000.
  • S Tillyard. Quatre aristocrates anglaises (traduit de l'anglais: "Aristocrats: Caroline, Emily, Louisa and Sarah Lennox, 1740-1832." Éditions Chatto & Windus,1994). Seuil, 1998.
  • M Duchein. Histoire d'Écosse. Des origines à nos jours. Édition Fayard, 1998.

 

 

Henry Purcell (1659-1695) est de l'époque de Charles II, Jacques II et de Mary II (décédée en 1694) dont il écrira la célèbre musique "Funeral of Queen Mary". Il meurt à 36 ans de tuberculose, semble-t-il. Une bonne centaine d'années plus tard, nous avons Beethoven et le piano. L'évolution est gigantesque à l'image de celle du monde d'alors.

Louise de Kéroualle

Louise de Kéroualle

Rédigé par Christophe de Brouwer

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