Un petit détour par l'histoire du REAA ?

Publié le 1 Juin 2014

De 1804 à 1814

 

 

Je rappelle, chose bien connue, que la Grande Loge de France (GLdF) est née de la volonté du Suprême Conseil de France de créer un organe « autonome » pour ses Loges symboliques, en 1894. Le Suprême Conseil (SC) de France (SCdF) est, lui, réellement né en 1821 sur les restes de la faction « Pompéi » et par la filiation du Comte Muraire. Tout comme le SC du Collège des Rites du GOdF, il trouve sa source dans la création en 1804, du 1er Suprême Conseil français.

 

 

En 1804, les "américains" reviennent des Îles (Saint Domingue, aujourd'hui Haiti). D'abord Germain Hacquet (1756-1835) (et le rite en 25 grades dit de perfection), ensuite le comte Auguste de Grasse-Tilly (1765-1845) (et le rite en 33 grades dit REAA, ainsi que le titre de GM du SC des "Îles de l'Amérique du vent et sous le vent").

Ils créent le 27 octobre 1804, le premier Suprême Conseil français qui s'appelle "Loge Générale Écossaise de France du Rit Ancien", plaçant à sa tête le prince Louis, frère de l'empereur (et Grasse-Tilly est son représentant officiel).

 

La réaction est immédiate et fin 1804, sur ordre de Napoléon, la réunion de cette "Loge Générale Écossaise" au GOdF est réalisée à travers un Concordat, signé le 5 décembre 1804. "Le RF Grasse Tilly, représentant du GM, parvenu à l'orient, a manifesté, au nom de ses frères, le voeux d'une réunion absolue, franche et éternelle; ce voeux reçu par le Grand Vénérable et les officiers du GO a été accueilli avec l'enthousiasme de la joie et de la confiance."

Note: Le "Grand Vénérable", c'est Roëttiers de Montaleau. Notons que le sacre de l'empereur eut lieu le 2 décembre.

 

Un vote favorable à la création d'un "Grand Directoire des Rites" est acquis le 12 juillet 1805 au GOdF, dans le but de centraliser et de simplifier. La contre-réaction ne se fait pas attendre et le 6 septembre 1805, Grasse-Tilly et ses amis, avec le maréchal Kellermann, dénoncent le Concordat. Il est possible que Grasse-Tilly ait été placé à la tête de cet ancien-nouveau SC "indivis" lors de sa sortie du GOdF, toujours est-il qu'il écrit de Strasbourg le 10 juin 1806 au SC indivis qu'il se déssaisit de la "Grande Maîtrise" au profit de l'archichancelier Cambacérès (ref. Livre d'Or de Grasse-Tilly. Édition du SCdF, 2003, p 25). Cambacérès accepte le 1er juillet et est installé solennellement le 13 août 1806.

 

 

Donc oui l'ancien-nouveau SC (qui se nomme indivis) se (re?)forme en 1805, et choisit de placer à sa tête Cambacérès qui met deux conditions:
- le GO gère directement jusqu'au XVIIIème
- le SC indivis gère ensuite, mais au nom du GO.

 

Le décret du 27 novembre 1806 pris par Cambacérès stipule en effet que les Frères promus doivent prêter "serment d'obéissance au GO comme unissant à lui le REAA, et au SC du 33ème degré, chacun en ce qui le concerne."

 

 

Et ce qui semble établi, c'est que, si Grasse-Thilly a pris la tête du "SC indivis" en France, ce fut de courte durée, il l'a rapidement cédé à Cambacérès. Ensuite, il était hors jeu pour recréer un SC français.
Par contre il a gardé la Grande Maîtrise du SC des Îles de l'Amérique dont il a beaucoup usé.

 

On peut se demander pourquoi Grasse-Tilly a cédé à Cambacérès cette "nouvelle" Grande Maîtrise en 1806.
C'est simple: faire une fronde alors que la volonté de l'empereur est l'unité d'une franc-maçonnerie à sa dévotion, est osé, sinon dangereux. Et pour Grasse-Tilly, nommé adjoint à l'état-major du prince Eugène de Beauharnais le 29 juin 1806 (soit 19 jours après s'être déssaisi en faveur de Cambacérès), manifestement s'asseoir dans le fauteuil de GM qui fut occupé par le prince Louis était encore plus délicat.

Cambacérès, un génie politique, trouve la solution qui ne lèse personne.
L'arrangement semble heureux: le GO garde la maîtrise sur le Rite français et les grades apparentés (dont celui de Rose-Croix). La fronde garde la maîtrise sur les grades au-delà, mais au nom du GO. Personne ne perd la face, et surtout l'unité de façade est maintenue. (la solution est d'ailleurs tellement bonne que Cambacérès refait le coup avec le RER en 1808.)

 

 

 

3/4/1814 Napoléon déchu - 18/6/1815 Waterloo

 

C'est le moment clé où deux organisations distinctes vont apparaître : le SC du GOdF, et plus tard, le SC écossais (ou SCdF).

 

Le GO propose au SC indivis de revoir les statuts (normal, c'est un changement d'époque). Tergiversation du SC indivis et refus de certains de ses membres, lesquels vont finalement prendre la décision de rompre avec le GO (les liens ne l'étaient pas avant cela). La conséquence en sera simple, le GO refera les statuts avec ceux qui acceptaient la centralisation des rites et agrégera petit à petit la majorité des anciens.

 

Le SC indivis va alors se scissionner :

Avant les 100 jours, le 8 septembre 1814, le GOdF communiqua au SC indivis son intention de centraliser les rites en son sein. Le SC "indivis" (10 membres présents, équitablement répartis entre les favorables et les opposants au GOdF), profondément divisé sur cette question, tergiverse et fit une longue réponse le 28 octobre 2014 pesant les pour et contre en demandant des éclaircissements. Puis ce sont les 100 jours. Le 26 août 1815 (après Waterloo), lors d'une réunion, 5 des membres du SC "indivis" (uniquement les opposants au GOdF) décidaient de "consacrer définitivement l'indépendance du rit écossais ancien et accepté".

Le GO vote le 18 novembre la centralisation des rites.
(Il faut donc respecter la séquence temporelle et la réalité des votes. Notons que les cent-jours débutent le 1 mars 1815.)

 

Ensuite, les "rebelles" (c'est à dire ceux du SC "indivis" qui refusaient la centralisation proposée par le GOdF) re-forment entre eux un SC qui tombe en sommeil peu après, aidé d'ailleurs par le décès de l'éternel trublion Pyron (ainsi que de l'ami d'enfance de Cambacérès, D'Aigrefeuille). Avec lui disparaît également le moteur et un ancrage véritablement républicain de ce SC.

 

Quant aux membres de l'autre partie du SC "indivis", ceux favorables au GOdF, ils vont aller de l'avant et élaborer une double structure permettant de gérer le rite écossais ancien accepté, qui va alors s'étoffer, en terme d'ateliers de hauts-grades et de membres 33èmes.

 

Ajoutons que tous les ateliers de l'époque napoléonienne, sans exception, pratiquant l'écossisme en France, ont rejoint le GO de cette époque.

 

Voir Pierre Mollier. 1815: du Suprême Conseil au Grand Consistoire des Rites pour la France, le Grand Orient de France réaffirme sa souveraineté sur le rite écossais ancien accepté. In L'Écossais 18/19. 2015, pp 33 à 104.

 

Les "écossais" révolutionnaires et républicains sont en fait refugiés à Bruxelles où ils créent le SC des AP (Amis Philanthropes, loge d'origine française), avec Ramel, Crassous, Rouyer, Prieur, Jacotot, sous le regard bienveillant de Cambacérès qui se trouve également à Bruxelles!

(Un deuxième SC sera créé à Bruxelles également en 1817, dit le SC "militaire" (les "vainqueurs" de Waterloo!), avec patente de Grasse-Tilly, qui fusionnera avec celui des AP fin 1817, ce qui donnera le SCdB que nous connaissons toujours.)

 

Le SC des Îles (Grasse-Tilly) va se déchirer dans une longue farce entre factions Prado et Pompei.

 

Le comte Muraire (c'est un des rares "anciens" resté hors la réorganisation du GO), va "réveiller" le SC "rebelle" après 6 ans de sommeil et agréger ce qui restait de Pompei avec Grasse-Tilly pour re-fabriquer un SC sous la bienveillance de son beau-fils le comte puis duc Decazes, en 1821. Choiseul-Stainville (duc de), Valence (comte de), Segur (comte de) et d'autres les rejoindront à ce moment.
Grasse-Tilly se retire alors, il sera d'ailleurs aidé dans ses derniers jours par le GO!

 

Il me semble que les arguments des uns et des autres concernant leur filiation sur le SC 1804 sont (ir)recevables l'un et l'autre, mais ils ne sont pas les mêmes, ce qui permet des discussions sans fin.

Je pense qu'il ne faut pas compliquer les choses. Louis XVIII revient, c'est une "restauration", et avec lui les ci-devant exilés. Le duc Decazes est un favori de Louis XVIII.

Une maçonnerie de bourgeois, commerçants, artisans ne l’intéresse pas. Il veut une maçonnerie élitiste. Muraire le lui offre et le SCdF sera, à ses débuts, "conservateur" dans le cadre d'une restauration monarchique, réunissant une élite brillante aristocratique qui aura sa propre logique.

 

Une bonne relation de ces événements se trouve dans "Deux siècles du Rite Écossais Anciens et Acceptés en France. Éditions Dervy, 2004.

 

 

Après 1821

 

 

Durant les deux premiers tiers du XIXème siècle, seul le Collège des Rites du GOdF a entretenu des relations amicales avec les deux Suprêmes Conseils (SC) américains, nord et surtout sud des EU (celui de Charleston), jusqu'à ce qu' Albert Pike (SGC du SC de la juridiction sud des États-Unis) change son fusil d'épaule suite à l'affaire du SC de Louisiane (novembre 1868).

(Courrier du 1er mai 1845 signé par le GM Courgas de la juridiction nord: "... comme une preuve illustrant la légitimité des droits dudit Grand Orient de France de gouverner tous les grades du Rite écossais ancien et accepté." Dans A. Bernheim, Le rite en 33 grades, Éditions Dervy, p 339.)

En mai 1870, les deux juridictions américaines (SC nord et sud) rompent avec le Collège des Rites du GOdF, et se tournent vers le SCdF qu'elles avaient TOTALEMENT ignoré jusque là! (D'autant que le SCdF avait réalisé des alliances maçonniques américaines contraires aux intérêts des deux premiers durant cette époque.) (Notons que la bataille de Sedan qui marque la fin du régime de Napoléon III date du 2 septembre 1870.)

 

Pour Alain Bernheim, c'est un des événements les plus importants pour comprendre la maçonnerie contemporaine.

 

A. Bernheim, Le Rite en 33 grades, Éditions Dervy, pp 379-382.)

 

 

Dès ce moment le SCdF (Suprême Conseil de France) commence une véritable internationalisation. Puis viennent les disputes internes qui provoquent la création de la GLSE (Grande Loge Symbolique écossaise) en 1880. Et en 1894 le SCdF crée la GLdF dont un des buts proclamés est de mettre en place une structure permettant de réabsorber la GLSE. Mais les choses ne se passent pas bien, et ce n'est que 2 ans plus tard que les 1ère loges de la GLSE rentrent au bercail. Cela prendra plusieurs années (1896 à 1899) et seulement pour une petite moitié d'entre elles. L'obligation du GADLU n'était pas encore imposée à cette époque au sein de la GLdF.

L'independance n'était cependant pas encore acquise pour la jeune GLdF: "Au bout de quelque temps, la GLdF s’aperçoit que ce lien [avec le SCdF] ... était un câble qui l'empêchait de voguer en liberté. En effet, quand elle sollicite la reconnaissance des puissances étrangères, voire même du Grand Orient de France, on lui répond par une fin de non recevoir, sous le prétexte fort juste qu'elle n'est pas souveraine. Elle continue d'être soumise au SCdF." Albert Lantoine, "La Franc-maçonnerie chez elle", Éditeur Nourry, 1927 (2ème édition), p 369.

 

 

C'est douze ans après la création de la GLdF que le GOdF la reconnaît (1906), les deux obédiences passant une Convention entre elles en 1908, qui connaîtra de nombreuses péripéties et accrocs, pas toujours du fait de la GLdF! La GLdF, et cette donnée permet de correctement situer les enjeux d'aujourd'hui, dénoncera la Convention avec le GOdF en 1959.

 

Rappelons que ce n'est que le 26 juillet 1904 que le SCdF autorise sa GLdF à délivrer des patentes constitutives aux nouveaux Ateliers symboliques. En réalité, si l'on veut être tout-à-fait précis, le GOdF n'a mis que 2 ans pour reconnaître une obédience possédant un degré d'autonomie qu'il a estimé suffisant. Cette semi-indépendance de la GLdF posait manifestement problème au GOdF. Voici ce qu'il écrivait dans un opuscule de 1931, traitant des statuts de la GLdF modifiés en 1927: "Il semble bien qu'ainsi la Grande Loge est souveraine, mais seulement par délégation du Suprême Conseil dont le droit, comme chef de l'Obédience, est imprescriptible." (GOdF. Documents concernant la question de l'unité maçonnique de la franc-maçonnerie française. 1931, p 11)

Cependant le GOdF discutera activement avec la GLdF de cette époque (1930-31), malgré l'accusation porté par la GLdF "... d'un complot pour nous étrangler, nous faire disparaître." L'attitude de la GLdF a souvent été très paradoxale, car malgré ces accusations, le Convent de 1931 de la GLdF, tout en refusant l'idée de fusion, propose de continuer les discussions "souhaitant que le Conseil de l'Ordre du Grand Orient de France délègue les dirigeants du Rite français pour élaborer, le plus tôt possible, avec les dirigeants du Rite écossais, le modus vivendi qui rendra féconde à tous points de vue l'union sincère, durable et indissoluble que nous avons toujours voulu sauvegarder."

 

Et ce problème d'indépendance fut d'importance en 1964 dans les événements internes au SCdF avec répercussion importante au niveau de la GLdF, qui, par exemple, s'est vu interdire d'utiliser le terme de "rite écossais ancien et accepté" et qui s'y conforma! (voir par exemple l'allocution d'ouverture du GM Raymond Lemaire lors du Convent de la GLdF de 1966. Bulletin intérieur de la GLdF n°16, 3ème trim. 1966.)

 

La GLdF va avoir du mal à se faire reconnaître par d'autres Grandes Loges. C'est le GOdF qui est fort actif au niveau de l'AMI (Alliance Maçonnique Internationale) avec la GL suisse Alpina, du moins dans ses débuts, cependant la GLdF en fait également et activement partie. L'AMI sera dissoute en 1950 par la volonté de la Grande Loge Alpina, afin de répondre à l'appel pour un regroupement de la franc-maçonnerie "régulière à l'anglaise".

 

Après la 2ème guerre, la GLdF impose pour ses loges, outre le GADLU, la bible. Cela lui permettait de rentrer dans la Convention de Luxembourg. Elle espérait ainsi être reconnue par les obédiences "régulières à l'anglaise". Elle y perdra tout, en ce compris en 1959 sa relation privilégiée avec le GOdF qu'elle avait réalisée en 1908.

 

Tout ce qu'elle avait péniblement, au cours de tant d'année, construit autour d'elle, fut ainsi jeté au vent.

 

Puis vint en 1964 l'affaire Riandey et le SCdF. Depuis la question se pose: quelle est la filiation légitime? Celle du SGC Riandey et ses compagnons et donc ce serait le SCPF-GLNF (c'est ce qu'ont décidé les SC "réguliers") ou celle des majoritaires restés au sein du conseil précédent et donc ce serait celle du SCdF-GLdF (c'est ce que dit le SCdF). Une situation un peu comparable à celle qui suit 1804, comme un ourobouros !!! Toujours est-il que la GLdF touchait à ce moment le fond.

 

 

Depuis, un fleuve tranquille entre GLdF et SCdF ? Que nenni! L'épisode pénible du GM Jean Verdun va encore une fois secouer les relations entre SCdF et GLdF. Jean Verdun fut GM de la GLdF de 1985 à 1988. Mal à l'aise, il prendra sa plume d'écrivain pour dénoncer les dangers d'une oligarchie qui se remettait en place avec les hauts-grades au sein de son obédience. Suite à son livre "le Maçon récalcitrant" (1996), il sera traduit en justice maçonnique de son obédience et suspendu 1 an, avec interdiction d'encore publier sur la GLdF. Puni pour un crime d'opinion ...

 

 

 

Depuis le début du XIXème siècle, les relations entre les deux « puissances » maçonniques (GOdF et SCdF-GLdF), rythment la vie maçonnique française. Mais petit à petit d'autres acteurs sont entrés en scène !

 

C'est ainsi par exemple que des négociations furent ouvertes en 1930 pour tenter l'unité de la franc-maçonnerie française en réalisant l'agrégation des GOdF, GLdF et ... DH ! Cela n'aura pas de suite, mais les responsables des trois obédiences étaient bel et bien autour de la table !

 

 

Ce petit détour historique pour mieux comprendre les enjeux actuels.

 

 

Je mets, en annexe, un texte qui comporte l'une ou l'autre erreurs, il a son âge, qui fleure certes la polémique, mais la polémique intelligente, parfaitement documentée. Il s'agit d'un texte co-signé par Joannes Corneloup et Georges-Henri Luquet concernant "Des droits du GO de France et du Grand Collège des Rites sur le Rite Écossais ancien et accepté", publié en 1959 dans le Bulletin du Centre de Documentation du Grand Orient de France (l'année précédente, un texte similaire avait été publié par Luquet).

 

 

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La superbe "Fantaisie écossaise" de Bruch et une bien belle interprétation!

 

Cambaceres assoupi par Frederic-Christophe de Houdetot (Conseil d'État-France).

Cambaceres assoupi par Frederic-Christophe de Houdetot (Conseil d'État-France).

Rédigé par Christophe de Brouwer

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T
It is very rare that we do get to see such improved versions of information’s regarding several historical events that has happened. Thanks to all these it has been really an easy task to know more about such things.
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